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préparer la population à son sort. D’après le récit imprimé du commandant Pardon et les notes manuscrites du chef d’état-major Abel, le maréchal Bazaine, recevant à son tour le 15 octobre les officiers de la garde nationale, ne fut pas moins affirmatif que ne l’avait été le 11 le général Coffinières. Il déclara qu’il ne pensait pas à servir le pouvoir impérial tombé par sa propre faute, mais à servir la France ; il se récria contre la pensée d’une capitulation et traita même de niais ceux qui ajouteraient foi aux bruits malveillans répandus à ce sujet. Il n’avait jamais été question, ajoutait-il, de la reddition de l’armée ; la seule négociation entamée avec le prince Frédéric-Charles concernait les prisonniers allemands enfermés dans la ville. La mission du général Boyer n’avait pas d’autre objet. On sait ce qu’il faut penser aujourd’hui de ces vaines paroles. Au moment où le commandant en chef donnait des assurances si formelles, il négociait depuis trois semaines, il avait accepté en principe le rétablissement de l’empire et la neutralisation de l’armée.

On avait essayé vainement d’intimider la population de Metz en lui faisant entrevoir à plusieurs reprises la perspective d’un bombardement. Un jour même, on invita la municipalité à prescrire partout des mesures spéciales, comme si le péril était imminent. Le service des pompiers fut renforcé ; on déposa des barils pleins d’eau sur les places, dans les rues et dans les cours des maisons. Le 12 octobre, le général Coffinières disait tout haut que l’armée allait partir, qu’après son départ la ville serait certainement bombardée, et qu’il fallait s’attendre à des choses effroyables. Au lieu d’encourager et de fortifier les habitans, c’était l’autorité militaire qui répandait l’alarme parmi eux. On semblait prendre à tâche d’obtenir de la population civile quelques signes de frayeur, afin de paraître céder à son désir en cessant toute résistance. On eût voulu pouvoir dire que la défense avait été désarmée par l’anxiété publique. Ces tentatives d’intimidation échouèrent devant la ferme attitude de tous. Les officiers de la garde nationale répondaient le lendemain au général Coffinières : « La population de Metz tout entière saura, nous n’en doutons pas, s’imposer les privations nécessaires pour éviter à tout prix une seconde édition de la capitulation de Sedan. S’il s’agit de nous préparer à supporter les rigueurs d’un siège, nous sommes prêts ; mais, s’il s’agit de nous préparer à une lâcheté, que l’on ne compte point sur nous ! » La population n’avait pas peur de souffrir, elle craignait au contraire qu’on ne lui demandât moins de sacrifices qu’elle n’était disposée à en offrir pour le salut du pays. Elle persista jusqu’au bout dans l’idée de la résistance ; le maire recevait des lettres où on l’invitait à déposer le maréchal Bazaine et à disposer de son commandement. Quelques esprits