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dépensé 20,000 francs en frais de déménagement. A qui cela profitait-il ? Ce n’est pas à l’état à coup sûr, car un gouvernement n’obtiendra jamais la stabilité dans les institutions tant qu’il la refusera aux individus.

Le fonctionnaire acquiert-il au moins la fortune ? Hélas ! non. C’est un principe admis dans toutes les carrières libérales, aussi bien que dans l’industrie et le commerce, que l’homme sage et laborieux doit non-seulement vivre de son travail, mais encore économiser de façon à posséder, qui l’aisance, qui la richesse, vers cinquante ou soixante ans. Dans les fonctions publiques, il n’en est point de même. Si le travail est léger, la rémunération l’est aussi, et, qui plus est, un faux point d’honneur exige qu’elle soit dépensée au jour le jour. Au bout de la carrière, l’employé de l’état n’a en perspective que la retraite, médiocre et précaire ressource de la vieillesse.

En vérité, c’est un spectacle singulier et qui frapperait davantage, si l’on en avait moins l’habitude, que la vie des serviteurs de l’état dans une ville de province. La plupart, étrangers à la localité, n’y ont d’autre affection que celle du voyageur pour le toit de l’auberge qui l’abrite. Accueillis avec une réserve froide par les habitans, ils demeurent souvent après dix ans de séjour aussi isolés que la première année. Quand bien même ils acquerraient droit de cité avec le temps, la loi les repousse du monde réel. Entre autres exemples qu’il serait possible de citer, la loi sur les conseils-généraux, que l’assemblée nationale vient de voter, déclare inéligibles la presque totalité des fonctionnaires et employés du gouvernement. Comment se dédommagent-ils de cet ostracisme politique et social ? Comment se fait-il qu’en dépit de ces inconvéniens les abords de la carrière soient encore encombrés de postulans, que ceux qui y ont pris rang s’en retirent rarement de plein gré par une démission ? Il y en a plusieurs raisons. L’esprit s’engourdit sous un régime administratif où tout est prévu par avance, où l’essor individuel est comprimé par une règle uniforme ; puis la rémunération mensuelle, quoique faible, se paie avec une régularité parfaite, que les plus graves événemens troublent à peine, — on l’a bien vu depuis un an ; enfin l’usage attache aux fonctions publiques une certaine considération qui repose on ne sait trop sur quoi. Elles donnent du prestige, mot vide et creux dont les gens de bon sens comprennent vite l’inanité, mais dont les sots se pavanent. Y a-t-il un plus grand honneur à gérer les affaires de l’état sans initiative qu’à diriger les siennes propres avec le sentiment de responsabilité qu’ont en matières diverses, mais avec un égal souci, le médecin, le notaire, le négociant ? L’homme n’a que trop de tendance à se