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moins quant à la pensée, le succès définitif de cette proposition Rivet qui a été tant débattue, qui a rencontré tant de scrupules et de résistances, qui a failli provoquer même une crise aussi grave que toutes celles qu’elle avait l’intention de prévenir.

Elle s’est présentée assez gauchement dans le monde, cette proposition, nous en convenons ; elle a eu tout d’abord un peu trop l’air d’un coup de parti, et elle a ouvert une issue à toutes les passions ; avant de devenir l’œuvre de l’assemblée, elle a subi bien des métamorphoses qui en ont fait une proposition nouvelle. Soit, au fond cependant, il faut l’avouer, elle devait venir un jour ou l’autre à l’esprit de quelqu’un, elle répondait à un sentiment juste, puisqu’elle demandait pour la France ce dont la France avait besoin, un gouvernement. C’est là le caractère et la raison d’être de cette proposition, qui a déchaîné tant d’orages. Sans doute la différence n’est pas bien grande entre ce qui existait il y a un mois et ce qui existe maintenant, puisque aujourd’hui, comme il y a un mois, c’est M. Thiers qui est le gouvernement, et que la situation n’est pas sensiblement changée par le seul fait d’un titre nouveau attaché à son pouvoir. Sans doute, aujourd’hui comme hier, président de la république ou chef du pouvoir exécutif, M. Thiers est toujours le mandataire de l’assemblée, relevant de la souveraineté parlementaire, résumant dans sa personne tout ce que le provisoire peut contenir de définitif, et, somme toute, on pourrait dire que le vote du 31 août n’a été que la confirmation ou l’extension du pacte de Bordeaux maintenu dans son principe essentiel, que rien n’est changé, si ce n’est qu’il y a un président de la république pour conduire une expérience dont le dernier mot pourrait n’être pas la république. Il n’est pas moins certain que ce gouvernement, tel qu’il est sorti d’une discussion solennelle et dramatique, prend un caractère de stabilité qu’il n’avait pas. Il est placé désormais au-dessus des fluctuations quotidiennes, il n’est plus à la merci d’une surprise parlementaire, d’un vote ouvrant tout à coup une crise indéfinie. Si courts que puissent être quelquefois les lendemains au temps où nous vivons, ce gouvernement peut passer pour avoir un lendemain. Avec l’éclat d’illustration que lui donne l’homme qui le personnifie, il a la durée humainement possible que lui assure le consentement public. En un mot, aux yeux de l’Europe, accoutumée à voir en M. Thiers le représentant le plus considérable de la France, comme aux yeux du pays lui-même, c’est un gouvernement. Est-ce donc un intérêt secondaire que dans les redoutables épreuves que nous traversons, au milieu de toutes les difficultés que nous avons à vaincre et des mobilités inévitables de toute chose, il y ait une certaine suite, une certaine fixité dans la direction de nos affaires ? est-il même indifférent que l’Europe et le pays, rassurés par l’expérience et par la supériorité d’un homme, croient avoir devant eux un vrai gouvernement ? Il suffirait qu’on le crût pour que ce fût déjà un bien. C’est là le sérieux et