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germanique reconstitué, avec son ancien adversaire résigné, M. le chancelier de Beust ? Si l’empereur Guillaume et M. le prince de Bismarck ont témoigné le désir de ces entrevues, il est certain qu’il était difficile de les refuser. Toujours est-il que l’empereur François-Joseph aurait gardé, dit-on, une sérieuse dignité d’attitude, qu’il aurait même décliné certaines conversations, et que M. de Beust a eu sûrement besoin de tout son esprit pour oublier bien des choses, comme aussi pour se souvenir qu’il était le chancelier d’Autriche. Quant au résultat essentiel des nouvelles conférences, les deux chanceliers ont pu parler de tout ce qu’ils ont voulu, des chemins de fer roumains, de l’agitation religieuse, de l’Internationale, de l’Occident et de l’Orient ; à coup sûr, de tous les sujets de conversation qui ont pu être abordés, le plus étrange et le plus inattendu serait la négociation d’une alliance pour sauvegarder la paix européenne contre la France.

M. de Bismarck témoignant des alarmes pour la paix, allant chercher aujourd’hui des alliés contre la France, convenez que ce serait une haute comédie digne de faire suite à cette autre comédie commencée à l’automne de 1865 dans ce même Gastein, et dont l’Autriche connaît le dénoûment ! Ce serait à faire croire que les événemens ont laissé au chancelier prussien une conscience mal assurée ou bien peu de confiance dans l’avenir de ses conquêtes, et ce serait presque à nous donner de l’orgueil. M. de Bismarck eût-il porté cette pensée dans ses pérégrinations diplomatiques avec l’espoir de la faire accepter ou de l’imposer, il n’y aurait pas là encore de quoi nous préoccuper beaucoup à l’heure où nous sommes. Du haut du promontoire où l’ont jetée ses malheurs, la France peut contempler avec une certaine philosophie toutes ces tentatives et combinaisons de ceux qui l’ont vaincue — pour assurer leur victoire. Qu’est-ce que cela lui fait ? Elle n’a guère à s’en inquiéter par cette simple raison qu’elle a bien autre chose à faire, que, si la paix de l’Europe est encore menacée, ce n’est point à coup sûr par elle, et que, d’ici à ce que revienne l’heure où elle pourra montrer à ses amis et à ses ennemis qu’elle n’est point morte, bien des choses auront pu changer. Dix fois les alliances qu’on pourrait nouer aujourd’hui auront eu le temps de voler en éclats. La force des situations se sera dégagée, chacun reviendra bientôt à ses intérêts ou à ses penchans, toutes les politiques auront eu le temps de retrouver leur vrai chemin. Se servir de la France contre l’Autriche, de l’Autriche contre la France, appeler l’Italie comme un appoint contre l’une ou l’autre de ces puissances, c’est un jeu qui a réussi jusqu’à présent, mais qui pourrait ne point réussir toujours, et la meilleure preuve, c’est que, de tout ce mouvement qu’on vient de se donner, il n’est peut-être sorti que des paroles et des accolades. On se serait promis de vivre en bonne amitié et d’échanger des impressions à mesure que des questions surgiraient ; qu’on échange donc des impressions et des vœux. Cela nous fait souvenir