Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même, laquelle ne paraît point disposée à mourir de sitôt. Ainsi en ont décidé 480 voix contre 93 ou 95, recrutées sur les bancs de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Ce jour-là, MM. de Carayon-Latour et Quinet ont trouvé l’occasion vraiment unique de voter ensemble, ils seraient inexcusables de l’avoir laissée échapper. Chose curieuse, les journaux les plus opposés à la motion Rivet, ceux qui la déclaraient hautement inopportune et dangereuse, constatent à l’envi que le vote de la chambre a produit les plus heureux effets, que la confiance renaît partout, que les transactions et les marchés en font foi, que les affaires reprennent avec une vivacité inattendue. Pouvait-on désirer mieux ? Tout le monde se félicite de l’événement, les affaires d’abord et ceux qui les font, les modérés du centre droit et du centre gauche, que dis-je ? les Prussiens eux-mêmes, si l’on en croit la Correspondance provinciale de Berlin, qui possède les secrets des dieux. Bref, tout le monde est content, hormis, bien entendu, M. de Carayon-Latour et M. Quinet.

Non, M. Quinet n’est pas content, il l’a bien prouvé en proposant à l’assemblée, en termes fort courtois, de se dissoudre pour faire place à quelque chose de mieux. La dissolution immédiate, voilà le mot d’ordre de l’extrême gauche, et, pour en venir à ses fins, elle a organisé une campagne de pétitionnement dont elle se promet des merveilles. Il paraîtrait qu’elle peut compter, pour le succès de cette campagne, sur le concours empressé de tous les cabarets de France ; c’est du moins ce qu’il est permis d’inférer d’une dépêche adressée par le ministre de l’intérieur au préfet du Pas-de-Calais, et qui porte : « Prescrivez formellement aux cabaretiers de faire disparaître la pétition sous peine de fermeture. » Si l’on s’en rapporte aux signataires de la pétition et aux cabaretiers qui leur viennent en aide, la dissolution serait le remède à tous les maux, l’universelle panacée, l’infaillible moyen de payer le Prussien et de faire le bonheur des Français ; à lui seul, ce mot vaudrait cinq milliards en espèces sonnantes. Il se pourrait bien aussi que la dissolution fût tout simplement un expédient inventé par des ambitions aux abois, — on en rencontre à gauche comme à droite, — qui veulent arriver à tout prix ; les journées leur durent, leur appétit compte les minutes. Nous n’affirmons rien à ce sujet ; vous savez que nous autres nous n’avons pas l’esprit décisif, et que dans les matières compliquées nous aimons à suspendre notre jugement. Il nous paraît seulement que la dissolution est sujette à de graves inconvéniens, et, s’il est vrai que la crainte soit le commencement de la sagesse, il serait bon d’inspirer aux malades la crainte salutaire de certains remèdes et de certains médecins ; la maladie vaut souvent mieux que le docteur. Heureusement cette campagne que vient d’entreprendre l’extrême gauche n’a, semble-t-il, que peu de chances d’aboutir. Un diplomate français disait un jour à Florence : « Depuis que je suis en Italie, j’ai entendu dire beaucoup de sottises, je n’en ai point vu faire. » Tant qu’une sottise n’est pas