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brouillant tout chez elle, il a d’autre part cinq milliards à recouvrer, et il entend qu’on le paie, qu’on le paie intégralement, jusqu’au dernier sou. Le succès étourdissant de l’emprunt l’a tout à la fois contristé et réjoui : il n’a pu constater sans douleur qu’il n’avait pas réussi à ruiner la France ; en revanche, il découvrait avec joie que la France était solvable et que sa créance était bonne, de telle sorte que dans ce grand conflit de sentimens il était à la fois triste d’être content et content d’être triste. Aussi, quelque chagrin qu’il ressente en voyant s’établir en France une république habitable, il considère que cette république est solvable, et ne peut s’empêcher de lui porter quelque intérêt. La Prusse n’a pas la chevalerie de la haine, elle ne saurait souhaiter mal de mort à un créancier qui paie ; mais à tort ou à raison Berlin ne croit pas à la solvabilité des républiques radicales. Que M. Thiers et l’assemblée nationale soient remplacés demain par une chambre et un président rouges, M. de Bismarck avisera aux moyens de leur rendre la vie impossible, et, s’il cherche, il trouvera ; on peut s’en remettre à lui, il excelle dans cet art, et c’est la France qui à son dam paiera pour ses gouvernans. Que si l’intérêt de leur pays touche médiocrement certains radicaux, seront-ils aussi indifférens à l’intérêt de leur cause et de leur parti ? Des classes entières en France sont persuadées qu’une république habitable est une chimère, que la république représente l’agitation et le désordre permanens. Est-ce un logis habitable qu’une maison qui serait tous les jours en proie aux écureurs et aux déménageurs ? La France a besoin de calme, de tranquillité, parce qu’il en faut pour travailler, et que le travail est aujourd’hui la première de ses nécessités. Les radicaux qui réclament la dissolution auraient bientôt fait de dégoûter leur pays de la république. Agitons, agitons ! crient-ils à pleine tête. L’écho répond : Payons, payons ! Qui donc a raison de Merlin l’enchanteur ou de cet écho désenchanté ?

Je dois vous faire, monsieur, un aveu qui me coûte, je n’ai point lu Merlin l’enchanteur, je n’en parle que sur ouï-dire et pour avoir entendu l’un de mes voisins, lecteur héroïque, s’écrier : « Ce livre est plus qu’un livre, c’est un événement, — ou si vous voulez que ce soit un livre, ajoutait-il, c’est un livre immense, qui contient le monde ; du cèdre jusqu’à l’hysope, on y trouve tout, absolument tout. » Les personnes de ma famille ont l’esprit posé, le sens rassis, et nous nous défions beaucoup des événemens en lettre moulée, des immensités et des auteurs qui se font forts de tout dire en trois cents pages ; il est déjà si difficile de dire quelque chose, et de le dire clairement, simplement, de manière à être entendu des honnêtes gens à Bâle comme à Paris ! Mais, s’il y a des Bêlois qui n’ont pas lu Merlin, nous avons tous lu les Révolutions d’Italie de M. Quinet et sa Révolution française, et nous tenons l’auteur pour un éminent esprit, pour un remarquable écrivain. Aussi nous paraît-il fort regrettable qu’un homme d’un si grand mérite