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avoir vengé cet innocent qu’un criminel a laissé mourir à sa place. Je travaille ici à la tâche ; je serai libre dans quelques jours, et je partirai pour Beaune, où je verrai qui vous savez. Je suis dans mon droit ; si j’en crois mes yeux, la promesse tacite qu’on m’avait faite a été impudemment violée. Il est possible qu’on vous ait demandé votre consentement, on ne s’est pas soucié d’avoir le mien. Ainsi justice sera faite avant que je me tue. Ma résolution est prise, n’essayez pas de m’en faire changer ; autant vaudrait pour vous raisonner avec une pierre. Et cependant, si vous aviez voulu ;… mais vous ne voulez pas. Je ne suis plus qu’un juge et un bourreau. »

Marguerite se promena quelques instans dans sa chambre, cette lettre à la main ; puis elle s’assit, le front appuyé sur le rebord de son lit. Elle demeura deux heures dans cette attitude, immobile à ce point qu’on aurait pu douter qu’elle respirât encore. Elle tenait une suprême délibération avec elle-même. Elle regardait l’une après l’autre ces portes condamnées qui fermaient à sa vie toute issue, elle grattait timidement à ces serrures inexorables qui refusaient de lui livrer passage. La mort seule était possible ; mais pouvait-elle quitter ce monde en y laissant derrière elle les deux papiers ? ne fallait-il pas qu’à tout prix elle les emportât dans son tombeau ? Sa nouvelle camériste entra deux fois chez elle pendant qu’elle était plongée dans cette méditation, et deux fois s’approcha pour lui parler sans que Marguerite la vît ni l’entendît. Ce silence et cette immobilité frappèrent de terreur cette brave fille, qui se retira sur la pointe des pieds, aussi émue que si elle venait de voir une morte.

Au bout de deux heures, Marguerite se releva, et, courant à son secrétaire, elle traça rapidement la réponse que voici :

« Moi aussi, j’ai ma folie, et il faudra que la vôtre compte avec elle. J’ai pris mon parti ; comme vous, je veux en finir avec la vie. Yoici ce que je vous propose : vous renoncerez à vous venger, j’irai passer un jour avec vous dans tel endroit que je vous indiquerai, et le soir de ce même jour nous mourrons ensemble. Acceptez-vous ? »

Elle parcourut des yeux ce qu’elle venait d’écrire, et, prise d’un rire convulsif, elle s’écria : — Voici la chauve-souris ! — Cette lettre demeura une demi-journée sur sa table. D’heure en heure, elle la relisait, se demandant si c’était bien elle, si c’était Marguerite Mirion qui avait écrit ces quatre lignes. Là-dessus, elle se racontait à elle-même, point par point, toute sa vie pour arriver à se convaincre que la personne qui s’était assise à cette table et avait plongé sa plume dans cette écritoire était la même qui jadis, joyeuse et jaseuse comme un pinson, contait à une parfaite amie ses innocens secrets de pensionnaire, et qui plus tard, pendant trois ans,