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de ces taxes sur certaines consommations plus facultatives, et où l’idée d’agrément l’emporte sur l’idée d’utilité. Les peuples les plus civilisés ont adopté cette dernière solution. Je ne connais guère de budget, quelle que soit la forme du gouvernement, quel que soit l’état de la société, où l’on n’ait considéré certaines dépenses d’agrément, quelquefois de pure vanité, comme susceptibles d’une taxation particulière. Ont-ils eu tort ? Je ne le crois pas. Il serait fort injuste en tout cas de crier au socialisme toutes les fois que cette pensée se fait jour, d’autant plus que ces taxes se trouvent tout aussi bien, et même avec un caractère plus prononcé, chez des peuples où l’aristocratie tient une grande place. D’un autre côté, la pente est glissante. Une aristocratie peut faire son sacrifice, se surtaxer elle-même sans que cela tire à conséquence ; elle saura s’arrêter à la limite de ses droits et de ses intérêts. Il n’est pas aussi aisé à la démocratie de se modérer dans une voie où il semble que tout la pousse. Il est donc important d’examiner les motifs qui seuls légitiment ces taxes, d’indiquer autant que possible la mesure où des impôts qui peut-être n’ont pas dit leur dernier mot doivent être renfermés.


I

On a prétendu quelquefois justifier du point de vue démocratique les impôts systématiquement établis contre le luxe et l’opulence par deux raisons spécieuses : on a dit que l’exiguïté même de leurs ressources condamne les pauvres à consacrer une part proportionnelle de leur revenu plus grande que le riche à leurs loyers et à leurs achats faits au détail, et que certains impôts, comme l’octroi ou l’impôt sur le sel, les atteignent également dans une proportion plus grande que les riches. Ce ne sont pas seulement les adeptes des écoles socialistes qui ont développé ces considérations ; quelques économistes dont l’autorité n’est aucunement à dédaigner en ont tenu compte. Il serait trop tentant pour la démocratie d’entreprendre, à l’aide de ces motifs, une sorte de campagne contre ces dépenses de luxe qui sont plus particulièrement le privilège des riches. Heureusement il suffit de rectifier ce que la théorie présente ici de défectueux pour arrêter la pratique sur une pente périlleuse. Est-ce donc le rôle du législateur, dans une démocratie libérale, de compenser ce qu’il peut y avoir d’infériorités pénibles dans la situation des moins favorisés par la fortune à coups de taxes revêtant un caractère de nivellement ? Si quelques impôts frappent plus durement le pauvre, n’est-ce pas sur ceux-là que