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plus, c’est le silence de cette foule, qui circule sans gaîté ; il n’y a là ni musiques, ni baladins, ni tout l’accompagnement habituel de ces sortes de fêtes, même en Orient. La Thrace a toujours eu des réunions de ce genre ; au Ve siècle avant notre ère, la plus célèbre se tenait à la ville d’Agora (le marché), qui était située non à l’intérieur du pays, mais à l’entrée de la Chersonèse.

Le choro tient une grande place dans la vie des Bulgares. Il admet plusieurs formes : l’une, qu’on appelle le labyrinthe ou la guirlande, est une imitation grecque. Vingt ou trente jeunes filles se tiennent par la main, et forment un ruban que conduit un jeune homme. Dans la Grèce propre, ce divertissement a encore toute la simplicité antique : c’est une suite de pas cadencés, toujours très lents, où le mérite consiste surtout dans la noblesse du maintien, dans l’habileté avec laquelle on suit les rhythmes d’une musique très douce, dans les figures que décrit le ruban. Les jeunes filles y portent des robes de soie brodées d’or, et n’y paraissent que chargées de bijoux. Les Bulgares dansent la guirlande à leur manière, tantôt très rapide, tantôt très lente, toujours désordonnée. Une danse qui répond mieux à leur caractère est celle de l’ours. Un homme vêtu d’une peau de bête est poursuivi par les jeunes filles et les garçons au bruit d’une musique barbare qu’accompagnent des éclats de voix stridens. On prend l’ours, on l’attache ; on le charge de foin, il fait des gestes bouffons, des pas grotesques qui ravissent l’assistance. Ce jeu dure des heures entières et se renouvelle souvent à l’époque des moissons ; hommes et femmes y portent une grande animation, une gaîté qui a quelque chose de sauvage. Le Bulgare, si paisible, a des accès de joie, des expansions sans mesure. J’ai vu des guides embrasser leurs chevaux avec fureur, se livrer sans raison sur leur monture à des contorsions violentes.

Les Bulgares parlent un idiome slave. Leur nom est celui d’un peuple touranien-finnois dont l’histoire est très obscure. Les Voulgares ou Boulgares, avant le VIe siècle, habitaient les rives du Volga. Ce fleuve arrosait un pays qui au temps des croisades, pour les Occidentaux, comme le voyageur Guillaume de Rubruquis, s’appelait la Grande-Boulgarie. Chassés par des invasions successives, les Bulgares s’avancèrent sur le Danube ; vers l’année 680, ils franchirent ce fleuve, puis l’Hémus, se répandirent dans la vallée supérieure de la Maritza, s’emparèrent des plateaux du Rhodope et des frontières de la Macédoine. Aujourd’hui encore ils occupent toutes ces contrées. Dans quelle mesure ces conquérans ont-ils modifié les tribus slaves qu’ils ont soumises ? qu’étaient ces tribus ? avaient-elles des rapports étroits de parenté avec les Thraces anciens ? peut-on retrouve aujourd’hui dans la province de Philippopolis, dans