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quitter, le suivre même en campagne, le conseiller sur toutes choses, participer à tous ses actes, vivre de sa vie. Aux heures où le roi jugeait, sa cour était un tribunal ; aux heures où il administrait, elle était un conseil d’état ; s’il songeait à faire la guerre, elle devenait son conseil militaire. Il est bien vrai qu’aucune constitution écrite ne fixait les attributions fort diverses de cette cour ; mais ses droits, son action, sa part d’influence et d’autorité, tenaient à des principes et à une façon de concevoir la vie publique qui étaient dans tous les esprits. Si nous nous reportons à la manière dont la nation était alors constituée, nous pourrons dire que cette cour du roi était la nation faisant ses affaires en commun avec le roi. Un magistrat du XVIe siècle définissait assez bien cette situation du parlement primitif quand il disait : « Il était une sorte de république assemblée comme convention d’estats[1]. »

Plus tard, la cour du roi se partagea, pour la commodité du travail, en trois corps qui furent le grand-conseil, la chambre des comptes et le parlement proprement dit ; mais le parlement ne fut pas pour cela réduit aux fonctions judiciaires. La politique et la justice ne se distinguaient pas alors comme elles se distinguent aujourd’hui. De même que le grand-conseil s’érigeait quelquefois en tribunal et que la cour des comptes avait aussi une compétence judiciaire, le parlement avait de son côté plus d’une fonction en dehors de celle de juger ; l’autorité législative surtout lui était formellement reconnue. Ce n’est pas qu’il faille l’assimiler au parlement anglais ou à notre corps législatif. Il n’était pas un pouvoir placé vis-à-vis du roi pour lui faire contre-poids et pour agir en dehors de lui ou même contre lui ; il faisait corps au contraire avec le roi. Il concourait avec lui à l’œuvre législative, il l’aidait ; il était l’entourage nécessaire du roi faisant les lois, et ressemblait par conséquent beaucoup plus à notre conseil d’état qu’à notre corps législatif. Aucune loi n’était régulièrement faite par le roi, si elle n’était faite au sein de son parlement et ce parlement entendu.

L’autorité législative de cette cour fut pourtant amoindrie dès le XIVe siècle. L’usage s’établit que les ordonnances fussent préparées par le roi dans le grand-conseil, ou le « conseil étroit, » au lieu d’être préparées et discutées en parlement ; mais alors le roi fut astreint, l’ordonnance une fois faite et rédigée, à en envoyer le texte au parlement pour qu’il fût inscrit sur ses registres. Or cet enregistrement n’était pas une pure formalité ; il allait de soi qu’avant

  1. Discours du président Gaillard, dans le procès-verbal du lit de justice tenu par François Ier le 24 juillet 1527.