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l’intérêt des collecteurs. » Sous Louis XIII, elle défend aux percepteurs, sous peine de concussion, « de lever des impôts non vérifiés. » On est effrayé quand on pense à quel point la population française eût été écrasée et ruinée, moins encore par la royauté que par ses agens et par les « fermiers de l’impôt, » si la magistrature n’eût obligé l’administration financière à quelque pudeur et les ministres à quelque modération. La royauté en vint à croire qu’elle était propriétaire de tous les biens meubles et immeubles des sujets ; cette maxime se trouve exprimée hautement dans les œuvres de Louis XIV, elle devait être fort en faveur dans les bureaux du contrôle général, et nous pouvons penser qu’elle fut plus d’une fois invoquée dans les délibérations du conseil privé, quand il fixait chaque année le montant des tailles. Si elle ne fut pas rigoureusement appliquée et restait à l’état de théorie pure, c’est sans doute parce que la magistrature ne cessa de rappeler au gouvernement que les sujets étaient propriétaires de leur fortune comme de leur existence. En 1507, le parlement fit spontanément un édit pour établir que le roi ne pourrait prononcer l’expropriation, même pour cause d’utilité publique, qu’en donnant une juste indemnité.

La magistrature ne parla presque jamais des libertés politiques de la nation, et ne réclama qu’aux derniers jours la convocation des états-généraux ; mais elle défendit toujours et sans se lasser la liberté individuelle. Elle ne cessa de protester contre les arrestations arbitraires et contre les jugemens par commissions. En présence de Richelieu lui-même, en 1631, elle refusa d’enregistrer des lettres royales qui déclaraient coupable de lèse-majesté un homme « qui n’avait pas été entendu en justice. » La fronde, qui fut pour quelques grands seigneurs un jeu d’enfans ou une indigne spéculation, fut pour la magistrature un effort sérieux et loyal. Si le parlemente Paris y montra peu de sens politique, il y fit preuve au moins d’une intelligence assez nette des libertés et des droits des populations ; c’est dans les propositions de la chambre de Saint-Louis (juin 1648) qu’il faut chercher sa vraie pensée : il y demande que l’état paie les rentes de ses créanciers et les traitemens de ses fonctionnaires, que les impôts soient examinés et librement votés par le parlement, que l’on renonce aux lettres de cachet et aux tribunaux exceptionnels, qu’enfin personne ne puisse être détenu plus de vingt-quatre heures sans être interrogé par un magistrat. Quelques autres propositions, comme celle qui tendait à supprimer les intendans, pouvaient paraître excessives. En général ces vœux du parlement n’attaquaient en aucune façon le principe monarchique, et n’allaient qu’à protéger les sujets contre les excès bien constatés du pouvoir : c’était la charte, d’ailleurs bien timide, des libertés individuelles. Il n’y avait alors en France que le corps judiciaire qui