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que ces noms réveillaient. « Charles X est donc toujours le comte d’Artois de 1789, » s’écria M. Royer-Collard en apprenant de M. de Martignac lui-même la chute de son ministère et le nom de son successeur. M. de Polignac n’était rien de plus que l’héritier d’une faveur royale expliquée, sinon justifiée, d’un côté par une amitié sincère, de l’autre par un fidèle dévoûment. Le roi et le favori étaient des revenans de l’ancien régime, aveugles, présomptueux et téméraires en 1830 comme en 1789. Sa modération et son patriotisme vouaient également le duc de Broglie à leur faire une franche et énergique opposition ; mais dans tout le cours de la lutte de 1830, parlementaire et populaire, son patriotisme n’altéra pas un moment sa modération. Je n’ai garde de raconter ici des faits écrits partout, dans les souvenirs du pays comme dans les livres des historiens ; je n’y veux chercher que les traits où se manifestent la généreuse impartialité et la prudente sollicitude du duc de Broglie, en même temps qu’il se compromettait aussi hardiment que nul autre pour maintenir la dignité du pays et défendre ses libertés.

Le 14 mars 1830, la commission nommée par la chambre des députés et présidée par M. Royer-Collard pour répondre au discours du roi préparait son projet d’adresse. Le roi tenait, ce soir même, une de ces grandes réunions qu’on appelait alors un appartement, et auxquelles beaucoup de personnes étaient invitées de droit ou d’usage. « La commission de l’adresse y était comme moi, dit le duc de Broglie, et le roi lui faisait force gracieusetés ; M. Etienne, nommé dès la veille son rapporteur, se pencha vers moi, et, mettant le doigt sur sa bouche, il me répéta à voix basse, mot pour mot, le paragraphe fatidique déjà arrêté et couché par écrit :

« — Sire, la charte que nous devons à la sagesse de votre auguste prédécesseur, et dont votre majesté a la ferme volonté de consolider le bienfait, consacre comme un droit l’intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est en effet indirecte, sagement mesurée, circonscrite dans des limites exactement tracées et que nous ne souffrirons jamais que l’on ose tenter de franchir ; mais elle est positive dans son résultat, car elle fait, du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les vœux de votre peuple, la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévoûment nous condamnent à vous dire que ce concours n’existe pas… Que la haute sagesse de votre majesté prononce ! Ses royales prérogatives ont placé dans ses mains les moyens d’assurer, entre les pouvoirs de l’état, cette harmonie constitutionnelle, première et nécessaire condition de la force du trône et de la grandeur de la France. »