Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je reviens au duc de Broglie.

Plus il avait témoigné de modération et de prudence dans ses désirs comme dans ses jugemens sous la restauration et pendant la révolution même de 1830, plus il avait à cœur de manifester aussi la fermeté libérale de ses convictions politiques. Dans ses Notes biographiques, après son récit détaillé des journées de juillet 1830, je trouve un supplément intitulé Réflexions, auquel j’emprunte quelques passages, expression grave et fidèle des idées qui satisfaisaient sa pensée et réglaient sa conduite.

« Je viens, dit-il, de suivre pas à pas, de mois en mois, souvent de jour en jour, quelquefois d’heure en heure, la série des événemens qui, prenant date à ce ministère du 8 août 1829 auquel M. de Polignac a tristement laissé son nom, s’arrête à ce ministère du 11 août 1830, qui clôt la révolution dite de juillet et commence le gouvernement né de cette révolution. J’ai raconté ce que j’ai vu de mes yeux, entendu de mes oreilles ; j’ai dit le peu que j’ai fait, et, qu’il me soit permis d’ajouter, le peu que j’ai vu faire. J’ai comblé les lacunes de mon récit en empruntant à d’autres récits, publiés par d’autres témoins oculaires, les incidens qui m’ont échappé, en choisissant les plus avérés et en les copiant presque mot pour mot.

« Je pourrais m’en tenir là ; mais c’est pour un homme, quel qu’il soit, chose trop considérable d’avoir concouru, pour si peu que ce soit, au renversement d’un trône, à l’avènement d’une maison régnante, ne dût-elle régner que peu d’années, et à l’ouverture d’une ère nouvelle en histoire, ne dût-elle y compter qu’en passant, c’est, dis-je, chose trop considérable pour que cet homme ne se demande pas sans cesse jusqu’à son dernier jour si l’acte auquel il a concouru était légitime, et s’il a bien fait de lui prêter son concours.

« Je ne suis ni légitimiste, ni démocrate, au sens qu’on attribue de nos jours à ces deux dénominations. Je n’estime pas qu’il y ait en politique des dogmes, c’est-à-dire des principe supérieurs à la raison humaine et à l’intérêt social. Ce que j’ai dit tout haut, publiquement, à la tribune[1], j’ai le droit de le redire dans le silence du cabinet. Je ne crois pas au droit divin. Je ne crois pas qu’une nation appartienne à une famille, qu’elle lui appartienne corps et bien, âme et conscience, comme un troupeau, pour en user et en abuser, de telle sorte que, quoi que fasse cette famille, à quelque extrémité qu’elle se porte, de quelque énormité qu’elle se rende coupable, le droit de régner lui demeure.

« Mais je ne crois pas davantage à la souveraineté du peuple. Je ne crois pas qu’un peuple ait le droit de changer son gouvernement

  1. Moniteur du 13 octobre 1831, p. 1806.