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bonapartiste, n’étant ni l’un ni l’autre, de cœur ni d’opinion. Duc et pair par droit de naissance, c’était le langage de ce temps-là, ni Louis XVIII, ni Charles X, ni le dauphin, ni la dauphine, ne connaissaient mon visage et ne m’ont jamais adressé la parole. Je n’ai jamais été présenté à Mme la duchesse de Berry, et je n’ai vu M. le duc de Bordeaux qu’exilé en 1840, et contemplant comme moi, dans l’église de Saint-Pierre à Rome, le monument élevé au dernier des Stuarts.

« Nul n’était donc plus libre que moi de tout engagement personnel aux approches de la révolution de juillet, et, pour rendre ma confession complète, j’ajouterai que, suivant de l’œil le cours précipité des événemens, je ne me livrais pas aussi volontiers que bien d’autres à la perspective qui semblait s’ouvrir. La nécessité de traverser un état de transition révolutionnaire et l’incertitude du résultat définitif m’inspiraient plus de répugnance et d’anxiété que n’avait pour moi d’attrait l’espérance d’un état meilleur. Le roi d’Angleterre Charles Ier écrivait, dit-on, à la reine Henriette-Marie qu’il ne lui avait jamais été infidèle même en pensée ; autant en au-rais-je pu dire aux Bourbons de la branche aînée, mais sous condition, bien entendu, qu’entre nous la fidélité serait réciproque. »

Quand, dans la parfaite liberté de sa pensée et dans la solitude de son cabinet, le duc de Broglie écrivait ces derniers mots, il touchait au cœur de la question entre Charles X et la France. Dans la monarchie constitutionnelle, la condition du lien entre le roi et le pays, c’est que la fidélité soit réciproque. Charles X avait évidemment rompu le lien en violant avec éclat la charte qu’il avait solennellement jurée. Pour apaiser les scrupules de sa conscience, il avait cherché et cru trouver dans l’article 14 de la charte même le droit de faire un coup d’état au nom de la sûreté de l’état. Le prétexte était vain. En 1830, la sûreté de l’état n’était aucunement menacée ; depuis plusieurs années, tout complot, toute insurrection avaient cessé ; l’opposition était devenue constitutionnelle et légale. Sans doute il y avait encore dans la chambre des députés des adversaires déclarés de la maison de Bourbon et qui désiraient sa chute, mais ils étaient en très petit nombre et hors d’état de compromettre sa sûreté. J’ai bien connu les deux chambres des députés qui à cette époque ont décidé des événemens, celle qui a fait l’adresse dès 221 et celle que la France a élue après la dissolution prononcée par Charles X le 16 mai 1830 ; je venais d’y prendre place pour la première fois. Ni dans l’une, ni dans l’autre de ces deux assemblées, qui comptaient 430 membres, il n’y en avait pas 50 qui désirassent la chute de la maison régnante, et l’immense majorité voulait sincèrement se maintenir dans l’ordre constitutionnel et