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évident que la politique de résistance n’était point compromise, et que le cabinet, affaibli dans sa composition, ne l’était nullement dans ses résolutions. Je demandai en même temps que le successeur du duc de Broglie fût l’un de ses amis, bien connu pour tel et bien décidé à suivre la même ligne de conduite. L’amiral de Rigny répondait pleinement à ces deux conditions et devint ministre des affaires étrangères. Quelques changemens, conçus dans le même esprit, eurent lieu dans le cabinet ; M. Thiers reprit le ministère de l’intérieur ; M. Duchâtel, dès lors l’un de mes intimes amis, lui succéda au ministère du commerce et des travaux publics ; M. Persil devint garde des sceaux en remplacement de M. Barthe, et quatre jours après la retraite du duc de Broglie le cabinet était reconstitué.

Du mois d’avril 1834 au mois de mars 1835, il mena une vie orageuse au dehors et très agitée au dedans. A Paris et à Lyon, de violentes insurrections éclatèrent ; nous en triomphâmes. Après ce double succès, la chambre des députés fut dissoute, et les élections nous la ramenèrent plus ferme que jamais dans la politique de résistance, mais en revanche plus susceptible et plus exigeante quant à l’administration générale du pays. Des difficultés d’une autre sorte apparurent dans l’intérieur du cabinet : nous réussîmes, M. Thiers et moi, mieux que le public ne s’y attendait, à maintenir entre nous l’accord nécessaire ; cependant nous ne parvînmes pas à nous entendre avec le maréchal Soult sur la grande question du gouvernement de l’Algérie, que nous voulions rendre civil, et qu’il persistait à maintenir strictement militaire. Nous demandâmes au roi un autre président du conseil. « Prenez-y garde, nous dit-il, le maréchal Soult est un gros personnage. Je connais comme vous ses inconvéniens ; mais c’est quelque chose que de les connaître. Avec son successeur, vos embarras seront autres, mais plus graves peut-être. Vous perdrez au change. » Nous insistâmes ; la démission du maréchal Soult fut acceptée, et le maréchal Gérard devint ministre de la guerre et président du conseil. Nous eûmes tort de rompre avec le maréchal Soult ; s’il nous causait des embarras parlementaires et des ennuis personnels, il ne contrariait jamais et il servait bien quelquefois notre politique générale. La retraite du duc de Broglie avait déjà été un affaiblissement pour le cabinet ; celle du duc de Dalmatie aggrava le mal, et nous ne tardâmes pas à nous apercevoir que la porte par laquelle il était sorti restait comme une brèche ouverte à l’ennemi que nous combattions.

Nous étions alors en présence du grand procès engagé devant la cour des pairs pour la punition légale des insurrections et des attentats révolutionnaires auxquels nous venions à peine d’échapper. Quand un gouvernement a été contraint de remporter de telles