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l’homme descend de quelque organisme inférieur, sera, je le regrette, fort désagréable à beaucoup de personnes. Cependant il est hors de doute que nos pères ont été des barbares. Je n’oublierai jamais la surprise dont je fus saisi quand je vis pour la première fois une troupe de naturels de la Terre de Feu sur une côte abrupte et sauvage, car la pensée qui me vint tout d’abord à l’esprit fut celle-ci : voilà nos ancêtres ! Ces hommes étaient absolument nus et barbouillés de peinture, leurs longs cheveux en désordre, leurs bouches couvertes d’écume, leurs physionomies farouches, effarées, défiantes ; comme des bêtes fauves, ils vivaient de leur proie, n’avaient aucune espèce de gouvernement, et se montraient sans pitié pour tout ce qui n’était pas de leur tribu. Lorsqu’on a vu des sauvages chez eux, on n’éprouve pas grande honte à se sentir obligé de reconnaître que le sang de quelque créature encore plus humble coule dans nos veines… » Voici d’ailleurs comment M. Darwin se figure l’être mystérieux dont nous sommes les petits-fils. « L’homme, dit-il, descend d’un quadrupède velu, ayant une queue et des oreilles pointues, vraisemblablement grimpeur (arboreal) en ses habitudes, et appartenant au vieux continent. Cette créature, si un naturaliste avait pu en examiner la structure, eût été classée parmi les quadrumanes aussi sûrement que l’aurait été l’ancêtre commun, et encore plus ancien, des singes du vieux et du Nouveau-Monde. Les quadrumanes et tous les mammifères supérieurs dérivent probablement d’un marsupial ancien, et celui-ci, par une longue filière de formes variées, soit d’une espèce de reptile, soit d’un animal amphibie, lequel à son tour a pour souche un poisson. Dans les brumes du passé, nous pouvons voir distinctement que l’ancêtre de tous les vertébrés a dû être un animal aquatique, à branchies, réunissant les deux sexes dans le même individu, et chez lequel les organes principaux, tels que le cerveau et le cœur, n’étaient développés que d’une manière imparfaite. Cet animal a dû, semble-t-il, se rapprocher des larves de nos ascidiacés marins plus que de toute autre forme connue. »

Cette déclaration de foi est nette et précise. Les faits par lesquels M. Darwin l’appuie et l’étaie sont aussi nombreux que variés, quoique guère nouveaux. Il y a d’abord les étroites analogies de structure anatomique et de constitution qui existent entre l’homme et les singes anthropomorphes. On a beaucoup discuté sur la signification de ces ressemblances, il y a eu longtemps comme un tacite accord pour les atténuer et pour en affaiblir la portée. M. Huxley a cassé les vitres : il n’admet pas ces compromis, ces demi-aveux corrigés par des palliatifs d’ordre moral. Pour lui, le nom de quadrumanes appliqué aux singes est une erreur anatomique : les singes ont deux pieds et deux mains comme nous ; la ressemblance de la prétendue main de derrière avec la vraie main ne va pas plus loin que la peau. Le membre postérieur du