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M. Darwin accumule les exemples et trace les tableaux de mœurs les plus curieux en nous faisant parcourir l’immense échelle du règne animal. L’usage de la voix nous apparaît sous un jour tout nouveau : c’est d’abord et avant tout un appel. Les mâles de certains poissons (ombres, hippocampes), ceux des tortues, des crocodiles, émettent des sons très distincts à l’époque des amours. Les oiseaux et les insectes ne sont guère bruyans que vers la même époque. Chez les mammifères, il est plus difficile de constater ce caractère spécial de la voix ; cependant M. Darwin pense que l’origine de la musique doit être cherchée dans les modulations par lesquelles nos ancêtres de race simienne tentèrent de charmer les oreilles du sexe opposé. On connaît d’ailleurs un singe qui chante : c’est un gibbon, l’hylobates agilis. M. Waterhouse a noté les sérénades de cet animal. « Il a, dit-il, une voix forte et bien timbrée ; il parcourt la gamme chromatique en montant et en descendant, et sa note la plus élevée est à l’octave de la plus basse. » Il n’est pas moins curieux de voir jusqu’à quel point chez les animaux le sentiment de la beauté et le goût des ornemens influencent les relations sexuelles. L’exemple le plus étonnant est fourni par les chlamydères ; ces oiseaux, qui ressemblent à nos perdrix, se construisent des charmilles nuptiales avec de fines pousses d’arbre qu’ils enfoncent par le gros bout dans une chaussée de cailloux arrondis, préalablement établie dans un lieu bien découvert. La plantation est assez large pour que les deux oiseaux puissent s’y promener à côté l’un de l’autre. Leur bosquet achevé, ils l’embellissent en y accrochant tous les objets brillans qu’ils peuvent se procurer : coquilles nacrées, plumes bleues et rouges, lambeaux d’étoffe, boutons dorés, tout ce qui peut charmer le regard. Et ces vautours, ces outardes, qui se livrent aux contorsions et minauderies les plus grotesques pour faire leur cour ! ces hérons qui défilent en procession avec une dignité grave, ces tétras et ces coqs de bruyère qui exécutent des rondes et organisent des soirées chorégraphiques et musicales, lesquelles finissent généralement par des combats à outrance ! Quelquefois la poule se sauve avec un jeune coq qui s’est prudemment tenu à l’écart pendant que les vieux se houspillent, et ces derniers en sont pour leurs frais.

En lisant ces étranges peintures de mœurs d’animaux, on sent partout comme une constante et secrète allusion. C’est du La Fontaine, moins la morale qui met les points sur les i. Bien des choses que nous voyons chez les sauvages établissent la transition entre les instincts des animaux inférieurs et les coutumes qui ont été consacrées par notre civilisation. Nous n’avons qu’à songer au goût qu’ont les nègres pour les objets brillans, aux tatouages dont les Indiens couvrent leur corps. Si on voulait étudier de près le tatouage chez les diverses peuplades, on y constaterait le règne capricieux de la mode et le jeu d’une féconde imagination, absolument comme dans l’histoire des costumes. D’un autre côté, les caractères de beauté qui font impression sur l’esprit d’un