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constater les lois qui régissent ces graves questions, par exemple celle qui concerne l’influence des mariages consanguins. L’avancement du bien-être général est un problème fort compliqué. « Ceux qui ne peuvent pas garantir leurs enfans de la misère, dit l’auteur, devraient s’abstenir de se marier, car la misère est en elle-même un grand mal, et elle tend à s’accroître parce qu’elle entraîne l’insouciance en fait de mariage. Malheureusement, si les prudens s’abstiennent et si les insoucians se marient, les prolétaires feront nombre de plus en plus. » L’homme est devenu ce qu’il est par un long combat ; s’il veut avancer, il faut combattre encore. Gardons-nous d’entraver par des préjugés ou par d’étroits calculs l’action des moyens que la nature emploie pour perfectionner les races ; abolissons ces lois et ces coutumes qui empêchent les hommes jeunes et bien doués de se créer une famille ! Il est vrai que les qualités morales se développent aujourd’hui plus par l’exemple et l’éducation que par l’effet de l’hérédité ; mais la sélection sexuelle doit toujours exercer une influence prépondérante sur les instincts sociaux qui forment pour ainsi dire la base du caractère.

« L’homme est excusable, dit en terminant M. Darwin, d’éprouver quelque orgueil à se voir au sommet de l’échelle organique, et, puisqu’il y est arrivé lentement, il peut espérer de monter plus haut encore ; mais nous ne cherchons pas ce qu’il faut espérer ou craindre, il nous suffit d’envisager la réalité. J’ai exposé les faits aussi fidèlement que j’ai pu, et voici, je crois, ce qu’il nous faut reconnaître : l’homme, avec toutes ses nobles qualités, avec sa sympathie pour les êtres les plus dégradés, avec sa charité qui s’étend non-seulement à ses pareils, mais aux plus humbles créatures, avec sa divine intelligence qui pénètre les mystères de la mécanique céleste, ― l’homme enfin avec toutes ses admirables facultés porte encore dans la structure de son corps le sceau indélébile de sa basse origine. »

Nous avons à notre tour cherché à résumer sans parti-pris les théories souvent étranges contenues dans ce livre, qui est appelé à faire sensation, comme ces manifestes qui étaient prévus et qui n’en surprennent pas moins. On l’a d’ailleurs dit avec raison : une hypothèse aventurée est bien moins dangereuse qu’un fait faux ; elle aide à grouper, à coordonner nos connaissances, elle stimule les recherches, et, lorsqu’elle a fait son temps, elle cède la place à une autre hypothèse qui est plus en rapport avec l’état de la science[1].


R. Radau
  1. La traduction française du nouvel ouvrage de M. Darwin, due à M. Moulinié comme celle de l’ouvrage sur la Variation des Animaux, est, nous dit-on, sous presse ; elle permettra au public de se faire une idée plus exacte des théories du célèbre naturaliste anglais