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aspirations nationales, les impatiences de la gauche, les ardeurs de la Permanente piémontaise, qui, pour venger Turin de sa dépossession, avait hâte de déposséder Florence, la crainte que la révolution ne prît l’entreprise à son compte, peut-être aussi les volontés de celui que la constitution défend de nommer, quel ministère eût été capable de résister à tant d’obsessions diverses, à tant de passions coalisées ? On s’est laissé faire violence sans trop s’en plaindre. Au fond, on désirait que l’Europe se trouvât en face d’un fait accompli, et on désirait aussi que ce fait accompli fût l’œuvre d’un gouvernement régulier, — que la révolution ne s’en mêlât point, ce qui eût tout compromis et tout perdu… Je ne crains pas d’affirmer que ceux qui reprochent le plus vivement au gouvernement italien d’être allé à Rome y seraient allés eux-mêmes, s’ils avaient eu l’honneur de gouverner l’Italie au mois de septembre 1870.

Si la France nourrit des rancunes, l’Italie nourrit des inquiétudes, et ces inquiétudes l’empêchent de s’abandonner à sa pente naturelle, qui l’entraîne du côté de la France. Il y a entre les deux pays des liens d’amitié, de secrètes sympathies fondées non-seulement sur l’affinité des races et la parenté des langues, mais sur la similitude des idées, des lois et des civilisations. Quelle action n’ont pas exercée les deux peuples l’un sur l’autre ! que d’emprunts ne se sont-ils pas faits ! Sans doute, Turin et Naples ont leurs gallophobes ; mais on a remarqué que le châtiment de ces gallophobes est que tôt ou tard ils vont à Paris et n’en peuvent plus revenir. Les sympathies naturelles que ressent l’Italie pour la France ont éclaté plus d’une fois pendant la guerre, et il y eut un moment où la presse italienne flétrissait avec tant d’énergie les exactions, les violences et les insatiables cupidités de la Prusse, que le cabinet de Berlin en porta plainte au Vieux-Palais par l’entremise de son ministre, M. Brassier de Saint-Simon. Vous savez en effet qu’il ne suffit pas à la Prusse de conquérir deux provinces et cinq milliards, elle entend qu’on admire sa modération et son désintéressement. « Vous verrez, disait en ce temps un Italien, que M. de Bismarck insérera dans les conditions de la paix un article portant que la France prend l’engagement solennel d’aimer et d’estimer les Allemands, ce qui lui sera plus difficile peut-être que de payer cinq milliards. Aimer la politique prussienne ! les Italiens sont incapables d’un si grand effort, qui n’est guère possible qu’aux Prussiens, aux naïfs et aux journalistes qu’on paie tout exprès pour cela. Cependant la Prusse leur disait : « Quoi de plus facile que de nous entendre et de nous allier ? Nous n’avons aucune question litigieuse à débattre ensemble ; nous voudrions nous disputer, que nous ne saurions pas sur quoi. » Les Italiens n’admettaient pas cette déclaration comme parole d’Évangile ; ils savent que les convoitises de la Prusse sont infinies, qu’elle a par devers elle des trésors inépuisables de prétentions et de chicanes, qu’il n’est pas de peuple dans le monde