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où semblent percer des arrière-pensées, et les gracieuses complaisances de la Prusse ! Autant M. d’Arnim avait mis d’empressement à se rendre au Quirinal pour y présenter ses hommages au prince Humbert, autant M. Brassier de Saint-Simon en a mis à déménager le même jour, à la même heure que le roi. Dès que son intérêt est en jeu, la Prusse fait des miracles ; elle réussit même à se rendre aimable.

Ce qui est chimérique heureusement dans les appréhensions italiennes, c’est de s’imaginer qu’il puisse y avoir à Versailles ou à Paris un gouvernement assez abandonné de la fortune et de la raison pour employer l’or, le sang de la France, à restaurer un trône caduc qui depuis trente ans ne subsistait plus que par la protection des baïonnettes étrangères. A supposer qu’on y réussît, ce ne serait pas assez de le relever, ce trône ; il faudrait le soutenir, l’étayer, le protéger contre les accidens, et à cet effet se condamner de nouveau à l’occupation indéfinie de Rome, — et comme il est impossible qu’un régime autoritaire renfermé dans l’enceinte d’une ville puisse se maintenir longtemps au milieu d’un peuple de 25 millions d’hommes qui jouissent de toutes les franchises constitutionnelles, le seul moyen de faire durer le pouvoir temporel serait de détruire l’Italie. C’est ce que font chaque jour, il est vrai, les matamores du parti clérical ; cependant l’Italie vit encore, et je soupçonne qu’elle est destinée à vivre. Il est des sentences dont on n’appelle pas, des événemens qu’on ne supprime point ; qu’on les défasse aujourd’hui, ils se referont demain. Or, à moins de détruire l’Italie, que pourrait offrir la France au saint-siège dont le saint-siège se pût accommoder ? On sait qu’il a peu de goût pour les jardins ; tout ou rien est sa devise.

En vérité, monsieur, il est plus difficile à la France de satisfaire le saint-siège en lui offrant quoi que ce soit qu’à l’Italie de se réconcilier avec lui sans lui rien offrir. Voici le raisonnement que me tenait à ce sujet un député italien, et qui me paraît digne de vous être rapporté. « Depuis le moyen âge, disait-il, Rome a été une enclave funeste à l’Italie. Rome avait une double politique. Il lui importait d’une part d’empêcher que l’étranger ne s’emparât de toute l’Italie : en ce sens, elle défendait notre indépendance contre les convoitises des conquérans ; mais il lui importait également qu’aucun prince italien ne réalisât l’unité italienne, seule garantie efficace de l’indépendance. Cette double politique était contradictoire et absurde. L’unité s’est faite aux dépens de la papauté ; il nous reste à obtenir après coup son consentement, et notre plus cher désir est qu’elle se résigne à nous accepter, à faire bon ménage avec nous. Les conditions de ce connubio ne sont pas faciles à régler ; nous nous attendons à essuyer bien des tracasseries, bien des ennuis : le pape abusera de sa faiblesse ; il protestera, il gémira, il criera. Le gouvernement italien est dans la situation d’un homme marié avec une femme insupportable, qui a ses nerfs, ses vapeurs,