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un animal formidable, le prince se leva de son siège, et dit sévèrement à la foule : « Vous oubliez que le sang humain ne coule pas devant moi ! » Le peuple respecta ce jeune homme, et se tut. Il était affable pour tout le monde, bon et patient pour ceux qui le servaient, généreux pour les gens de lettres et les professeurs des arts libéraux, dont il accrut le bien-être, fidèle à ses amitiés d’enfance, et n’oubliant aucun de ceux qui avaient été les compagnons de ses études ou de ses jeux. On lui avait donné pour condisciples deux jeunes patriciens de son âge, Paulinus et Placita : il leur ouvrit, quand ils furent hommes, l’accès des plus hautes dignités. Paulinus passait pour le plus distingué des trois ; mais ses succès le perdirent, et ses aventures nous occuperont plus d’une fois dans la suite. Un historien résume en ce peu de mots les illusions qui environnèrent le nouveau règne et le nouveau prince à leur début : « Toutes les qualités que les empereurs, prédécesseurs de Théodose, semblaient s’être partagées entre eux, il les réunissait en lui seul, ou plutôt il les surpassait tous ensemble par sa piété, sa tempérance, sa libéralité, sa justice, et par une certaine grandeur d’âme qui convient à la majesté souveraine. »

Voici un exemple des moyens que prenait la tutrice pour inculquer ses leçons dans le cerveau d’un pupille léger et trop souvent distrait. Quand l’heure des divertissemens arrivait, que le jeune Théodose devait monter à cheval, tirer de l’arc ou chasser avec ses eunuques, ce qu’il aimait passionnément, il ne mettait plus d’attention aux affaires et signait tout ce qu’on lui présentait. Sa sœur lui avait expliqué bien des fois les inconvéniens de cette inattention, mais c’était peine perdue. Un jour enfin elle s’entendit avec un des secrétaires d’état pour qu’il glissât parmi les papiers offerts à la signature du prince un acte par lequel celui-ci lui vendait sa femme comme esclave ; il était marié tout récemment. Théodose, suivant son habitude, signa la pièce sans la lire. Quelques heures après, il fait demander sa femme, et, comme elle tardait à venir, il s’impatientait. « Elle ne viendra que si je le lui permets, reprit alors sa sœur avec sévérité, car elle m’appartient, et voici l’acte en due forme par lequel vous me l’avez livrée en servitude. »

L’administration de Pulchérie continuant celle d’Anthémius avec les mêmes erremens et probablement par les mains des mêmes ministres, il y eut là pour l’empire d’Orient onze ou douze années d’un véritable bien-être. C’est ce que nous disent les histoires du temps parvenues intégralement jusqu’à nous ; il est vrai que les auteurs en sont chrétiens. Nous trouvons néanmoins dans un fragment d’Eunape, qui était païen, cette grave accusation, que sous la régence de Pulchérie on vendait les gouvernemens publiquement et aux