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d’écho dans le peuple, il laissa emporter son martyr, qui fut enterré comme un autre homme.

La guerre continuait cependant entre le préfet et l’archevêque en attendant la décision de l’empereur, et elle donna lieu à un épisode lamentable. Au premier rang des professeurs d’Alexandrie se faisait remarquer une jeune fille nommée Hypatie, dont les écrits et les leçons étaient déjà célèbres dans tout l’Orient. Fille du mathématicien Théos, qui l’avait élevée comme il eût élevé un fils, elle avait dépassé son père dans sa propre science, à laquelle elle avait ajouté tout ce qui s’enseignait dans les gymnases, « laissant bien loin derrière elle, dit un historien, tous les philosophes de son temps. » Plotin, qui avait été un de ses maîtres, lui légua en mourant l’école platonicienne qu’il dirigeait, et de toutes les parties de l’empire on accourut aux leçons de cette fille extraordinaire. Hypatie était aussi belle que savante, aussi honnête que belle, et la jeunesse la respectait en l’admirant. Vêtue du manteau de philosophe, insigne de sa profession, elle ne l’eût peut-être pas changé, comme fit plus tard une fille d’Athènes, pour celui des impératrices. Sa haute raison la faisait consulter sur toutes choses par les notables et les magistrats de la ville, et le préfet Oreste avait plaisir à s’entretenir avec elle. Hypatie pratiquait le paganisme. Son influence sur le préfet déplut à Cyrille, qui la prit en aversion, et on répandit le bruit que c’était elle qui empêchait le préfet de se réconcilier avec l’archevêque. Des clercs jurèrent alors sa perte. Un jour qu’elle rentrait chez elle, portée dans sa litière, une troupe de misérables conduits par un lecteur du nom de Pierre l’arrête, l’enlève et la traîne dans une église voisine : là, on la dépouille de ses vêtemens, ou la massacre, on la dépèce avec des têts d’amphore, et, ramassant ses membres encore palpitans, les assassins vont les brûler dans un lieu appelé Cinaron, affecté probablement au supplice des criminels. A la nouvelle de cet acte abominable, un cri de réprobation s’éleva de toutes les bouches contre Cyrille et contre l’église d’Alexandrie. « Et en effet, dit l’historien contemporain qui se fait ici l’interprète de l’indignation publique, des meurtres et des crimes pareils sont absolument contraires à la loi de Dieu et à l’institution chrétienne. » Néanmoins, si l’on s’émut au palais de Constantinople, on n’osa point sévir, et cette affaire fut étouffée comme les autres. Cependant les Juifs d’Alexandrie fugitifs devant le massacre et l’incendie portèrent partout où ils se réfugièrent leur soif de vengeance et la haine du nom chrétien. Les rapports commençaient à s’améliorer entre les synagogues de la Syrie ou de l’Asie-Mineure et les populations chrétiennes, grâce au régime tolérant établi par les lois romaines ; les animosités se calmaient, et l’on n’entendait plus