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y est sans pitié pour les autres, et ne pardonne jamais. Quand tu mourras et que le Christ te repoussera, c’est moi qui te prendrai et te ferai payer cher ton ingratitude ! » Tel est le dernier trait que lance Satan à sa victime : le désespoir éternel et la défiance de Dieu.

Cyprien lui-même, en repassant dans sa pensée la longue trame de ses crimes, se jugeait indigne de pardon, et les paroles du démon pesaient sur son âme comme une damnation anticipée. Sa tête s’égarait ; il voulut se laisser mourir de faim. Déjà sa vie ne tenait plus qu’à un fil quand un chrétien, son ancien ami, entre chez lui et le rassure. Il lui montre que Dieu est le père des miséricordes, que la doctrine du Christ est celle du pardon, et que douter de lui est un acte impie ; il le force à prendre quelque nourriture et l’emmène avec lui chez l’évêque. L’évêque craint que la présence de cet homme pervers ne soit une souillure pour le lieu saint : il l’écarte du seuil de l’église et le repousse avec mépris ; mais Cyprien revient courageusement à la charge : il reparaît avec tous ses livres de magie, qu’il brûle en face du temple comme un holocauste d’oubli pour sa vie passée. L’évêque l’admet enfin parmi les catéchumènes, et c’est alors que le magicien converti fait devant les fidèles assemblés la confession de ses erreurs.

Tel est le sujet du premier livre.

Le livre II est incontestablement le plus curieux des trois. Sous la forme heureusement imaginée d’une confession publique, Cyprien fait au peuple chrétien accouru pour l’entendre le récit de ses aventures, comme fit Ulysse à la cour d’Alcinoüs et Énée devant la reine de Carthage. C’est le tableau rétrospectif de toute sa vie depuis sa naissance jusqu’à sa conversion, et en quelque sorte un voyage de découvertes dans le pays de la magie. Toutes les contrées connues pour posséder des centres d’initiation aux sciences occultes y sont passées en revue successivement avec leurs mystères, leurs rites et leur importance particulière. On croirait lire un cours de démonologie tel qu’on pouvait le tracer aux IVe et Ve siècles. C’est de là, comme je l’ai dit, que provenait surtout l’immense popularité de la légende et que provint aussi le succès du poème. En comparant ce second livre au précieux document intitulé Confession de Cyprien, on voit qu’Eudocie, tout en suivant la donnée légendaire, la développe, la complète, l’éclaircit, et ce qu’elle y ajoute a d’autant plus de prix pour nous que c’est l’œuvre d’une Athénienne élevée dans le culte païen, et fille d’un de ces sophistes si proches parens des mystagogues de l’hellénisme.

Né au sein du polythéisme d’une famille infatuée de toutes les superstitions, Cyprien dès sa naissance a été consacré au soleil