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allumés, elle se consacre à Jésus-Christ, désormais son époux. Tout ce qu’elle possède, elle le distribue aux pauvres. Elle transforme en chapelle la maison où elle a été nourrie, et se voue pour toujours au service de l’église. Justine est un modèle de piété et de vertu, comme Cyprien un modèle d’humilité et de sainteté. Il ramène au Christ plus de cœurs qu’il n’en avait jadis détourné, et Dieu lui départit le don des miracles. Antioche enfin le choisit pour son évêque.

Cependant le vent de la persécution s’est élevé sur l’empire : Dioclétien règne à Nicomédie, Maximien Hercule à Milan, et les prétoires des juges se remplissent de chrétiens amenés pour renier leur foi. Cyprien et Justine comparaissent devant le préfet de Tyr, qui leur ordonne de sacrifier aux faux dieux, et sur leur refus les fait plonger côte à côte dans une chaudière de poix bouillante ; mais le liquide enflammé s’écarte avec respect, et n’effleure même pas leurs membres : les deux martyrs, à l’instar des Israélites dans la fournaise, se mettent à entonner les louanges de Dieu. Le peuple étonné s’émeut, et quelque sédition était à craindre, lorsqu’un certain Athanasius, assesseur du préfet, s’adresse à son chef, et lui dit : « Ce chrétien que le feu épargne, je le connais ; c’est un magicien dont j’ai suivi autrefois les leçons, et je sais en vertu de quels enchantemens lui et sa complice se jouent de ton autorité. Près d’eux se trouve une autre chaudière : permets que j’y entre en invoquant nos dieux, et tu verras si je n’opère pas un prodige égal au leur. » Sur le consentement du préfet, Athanasius se plonge la tête la première dans la poix enflammée, et disparaît en un clin d’œil.

Le préfet tout interdit, effrayé d’ailleurs par l’attitude de la foule, fait retirer les deux chrétiens de la fournaise et les envoie à Nicomédie devant le tribunal de l’empereur. Leur interrogatoire ne fut pas long, et le supplice le suivit de près ; Cyprien et Justine eurent la tête tranchée, puis leurs cadavres furent laissés en pâture aux corbeaux et aux chiens. Il y avait dans le port de Nicomédie un navire venu de Rome et monté par des mariniers chrétiens. Ces étrangers guettèrent le moment où ils pourraient sans être vus enlever les corps des deux martyrs ; ils les prirent et les cachèrent à fond de cale dans leur vaisseau. A leur retour dans la ville éternelle, et lorsqu’ils abordaient les quais du Tibre, au milieu de la nuit, ils trouvèrent sur la grève une matrone romaine qui les attendait : un songe l’avait avertie que cette nuit même il lui arriverait par le fleuve un précieux trésor. Réclamant les saintes reliques, elle les fait alors transporter dans un terrain qui lui appartenait près du forum de Claudius, et on y construit sous l’invocation de Cyprien et