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volonté ferme a pu changer rapidement un état de barbarie en un état de civilisation. Entraîné dans une bonne voie, un peuple depuis longtemps déjà en possession de grandes lumières obtiendrait de prodigieux succès.

La France est loin d’avoir perdu les moyens de retenir le rang suprême dans la civilisation moderne ; des hommes d’étude frémissent à la pensée des grandes choses qui s’accompliraient sans des obstacles matériels. Aidés, ils travailleront encore, et ils habitueront la jeune génération à travailler pour la gloire et pour la prospérité du pays ; abandonnés, ils auront peu de successeurs : des circonstances particulières qui se produisent depuis quelques années sont un avertissement. Faciliter les recherches, former des investigateurs habiles et des maîtres dont la capacité soit indiscutable, donner à tous les degrés de l’enseignement une instruction qui ait pour fondement l’observation et l’expérience, telle doit être de nos jours la préoccupation constante des pouvoirs publics et des personnes appelées à exercer une influence. Il faut élever la nation à comprendre tous les progrès et à pratiquer l’esprit de vérité ; aucune conscience ne peut en être troublée. A une époque déjà éloignée de nous, un membre de la chambre des députés s’écriait : « L’instruction publique est tout[1] ; » il n’avait pas tort, pourvu que l’instruction publique soit conforme à la nature, à la raison, à l’intérêt général bien entendu de la société. Une fois le principe reconnu, la tâche qu’il faut accomplir pour assurer le succès reste immense ; il s’agit d’apprécier les instrumens de tout genre dont on dispose, de se rendre un compte fidèle des ressources qu’offrent nos divers établissemens, — toute erreur grave serait funeste, — enfin de déterminer exactement les dispositions nécessaires pour obtenir les meilleurs résultats possibles. La question de la liberté d’enseignement a été presque toujours agitée depuis un demi-siècle, et plus d’une fois on a prétendu que cette liberté procurerait toutes les satisfactions. Si l’on a beaucoup médité sur ce sujet et beaucoup étudié notre situation présente, on demeure convaincu qu’aujourd’hui elle serait la source de désordres et d’un nouvel affaiblissement de l’esprit public. Il paraît donc sage de songer d’abord à fonder dans l’état un enseignement à tous les degrés aussi parfait qu’on peut l’imaginer. Alors, quand une génération en aura reçu le bienfait et que la plupart des hommes sauront reconnaître ceux qui méritent confiance, la liberté d’enseigner ne sera plus à craindre ; elle deviendra une cause d’émulation.


EMILE BLANCHARD.

  1. M. Victor de Tracy, Discours prononcé pendant la discussion du budget de l’instruction publique, séance du 29 mai 1835.