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prête pour défendre son indépendance, et la France, éclairée par une terrible leçon, n’écouterait plus qu’avec dégoût les rhéteurs qui, au temps où nous sommes, lui conseilleraient de mépriser la force. Aujourd’hui il n’est pas un patriote qui n’accepte les sacrifices demandés pour l’armement national. Les chemins de fer font partie de cet armement, et les dépenses que nous venons d’indiquer rentrent essentiellement dans les plans de réorganisation militaire.

Pour assurer aux chemins de fer toute leur efficacité en temps de guerre, il faut que le personnel de l’exploitation soit à l’avance familiarisé avec les conditions de ce service spécial, et que les états-majors comme les intendans de l’armée soient au courant des exigences techniques de l’exploitation. Quand on est appelé à manier une machine, il importe d’en bien connaître tous les rouages. En Prusse et dans la plupart des états de l’Allemagne, le service des chemins de fer est organisé militairement. Le personnel de l’exploitation est parfaitement instruit des détails qui intéressent le service de guerre, et il manœuvre en pareil cas avec l’esprit de discipline qui lui est naturel. En second lieu, tout ce que nous avons vu prouve que les officiers allemands connaissaient avec précision les conditions topographiques et techniques des voies ferrées, non-seulement dans leur propre pays, mais encore en France, et que, par un système d’observations incessantes pratiquées pendant la paix, ils avaient acquis les notions les plus complètes sur les ressources que pouvait offrir aux belligérans l’emploi de nos gares et de notre réseau. On les a, sous ce rapport, accusés de perfidie, et l’on a prononcé le mot d’espionnage. Ils abusaient, dit-on, de notre hospitalité, de l’accueil facile que nous accordons aux étrangers, de la confiance des officiers et des fonctionnaires français avec lesquels ils entretenaient des relations intéressées de bon voisinage. Cela est possible, et il ne s’agit pas d’apprécier la délicatesse des procédés ; ce qui est certain, c’est que les états-majors des armées allemandes s’étaient donné la peine d’apprendre ce qu’il leur était si utile de savoir, et de recueillir tous les renseignemens qui pouvaient éclairer en pays ennemi la marche de leurs troupes. Tant que la guerre sera de ce monde, et malheureusement il ne semble pas qu’elle soit à la veille de disparaître, les nations qui tiennent à vaincre doivent souhaiter que leurs états-majors se montrent aussi habiles et aussi prévoyans.

Autrefois le général chargé du commandement d’un corps d’armée pouvait à la rigueur, au moyen d’une carte et de quelques indications topographiques, diriger la marche de ses troupes. S’il se présentait un obstacle, il était souvent assez facile de le tourner.