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ne perd jamais ses droits ; mais ces crises ne se manifestent que dans les temps prospères. Lorsque le travail devient ailleurs moins abondant, l’ouvrier des compagnies, qui est assuré de recevoir son salaire quotidien et qui ne subit point de chômage, demeure attaché à l’industrie qui le fait vivre ; il apprécie mieux, en présence de la misère générale, l’organisation qui lui garantit l’emploi continu de son intelligence et de ses bras, et son intérêt le retient dans l’atelier comme un soldat fidèle au drapeau. C’est ce que l’on a vu après le 4 septembre et sous la commune. On ne saurait trop insister sur ce fait, qui est tout à l’honneur des compagnies et de leur nombreux personnel. Pendant le siège, les ouvriers de chaque compagnie formaient dans la garde nationale de Paris des bataillons distincts qui ont vaillamment manié tour à tour l’outil et le fusil, et qui, en dépit de violentes excitations, n’ont compté que très peu de déserteurs. Pendant la commune, les ateliers des chemins de fer ont conservé leur activité ; leurs ouvriers ne se sont pas mêlés aux insurgés, et, lorsque tant d’autres se laissaient entraîner, ils sont demeurés fidèles à leurs devoirs de bons citoyens et d’honnêtes gens. Voilà ce que produit une organisation sagement entendue. Elle entretient le patriotisme, le sens droit, le travail. Elle explique comment, au milieu des catastrophes qui se sont accumulées sur Paris, la corporation ou plutôt l’armée des chemins de fer a pu rendre tant de services à la défense nationale.

En regard de ce dévoûment, il faut malheureusement placer les sacrifices. Les pertes éprouvées par les compagnies ont été considérables ; elles sont de deux natures : les unes proviennent de la destruction de gares, d’ouvrages d’art, de quelques portions de voie, ainsi que de la perte ou de la dépréciation des machines et wagons ; les autres résultent de l’interruption du trafic et de la réduction des recettes. Deux compagnies, celles du Midi et des Charentes, éloignées du théâtre de la guerre, n’ont point subi de dégâts matériels ; elles n’ont souffert que de la diminution du trafic, les affaires commerciales étant nécessairement suspendues et les transports militaires, auxquels elles ont fourni leur part, s’étant effectués au tarif réduit. La perte matérielle pèse sur cinq compagnies, Est, Ouest, Orléans, Nord, Lyon-Méditerranée, sur la compagnie de l’Est surtout, qui a éprouvé le premier choc, et dont le réseau presque entier a été occupé par l’ennemi. D’après un rapport présenté à l’assemblée nationale, le montant des dégâts avait été approximativement évalué à 56 millions de francs, auxquels il fallait ajouter environ 1 million pour les faits d’incendie et de bombardement à la charge de la commune. Les rapports lus aux assemblées générales des actionnaires donnent la triste nomenclature des