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Pline peut parfaitement tenir lieu de celle de ce grand livre. Ce n’est pas qu’il estime particulièrement Pline ; si on lui demande son goût, il répondra qu’il préfère Quintilien. Bref, si Luther doit à la lecture des classiques latins quelques idées qui nous sont communes avec lui, il diffère de nous plus qu’on ne saurait dire par sa conception du monde. A cet égard, Luther est un homme du moyen âge. Il se fait de l’univers absolument la même idée que Job ou tout autre Sémite. « Il n’est point de livres, dit-il, auquel j’aie jamais moins cru qu’à la Météorologie d’Aristote, car elle est fondée sur ce principe, que tout dans la nature arrive par des causes naturelles. »

Les causes de l’arc-en-ciel sont-elles naturelles ? se demande Luther. Aristote sans doute expose les conditions dans lesquelles se produit ce météore lumineux ; et il paraît bien, en effet, que ce sont les rayons du soleil qui, se réfléchissant sur le nuage comme sur un miroir, donnent naissance au phénomène. En ces matières, la raison atteint le vraisemblable, jamais le vrai, car cela n’appartient pas à la créature, mais bien au Créateur. Tout ce qu’on peut dire avec certitude de l’arc-en-ciel suivant Luther, c’est qu’il annonce qu’il n’y aura plus de déluge. Aristote prétend que l’arc-en-ciel ne va jamais au-delà de la demi-circonférence. « Eh bien ! ici même, à Wittenberg, dit Luther, j’ai vu un arc-en-ciel absolument circulaire, et nullement coupé à la demi-circonférence par la superficie de la terre, comme il arrive d’ordinaire. » Pourquoi ce phénomène a-t-il lieu tantôt d’une manière, tantôt d’une autre ? Un philosophe ne manquera pas d’imaginer quelque explication. La meilleure, ou plutôt l’unique démonstration certaine qu’on puisse apporter de ces météores lumineux, c’est qu’ils sont tous l’œuvre de Dieu ou des démons. Luther ne doute pas que les dragons volans, etc., ne soient l’effet de méchans esprits qui, dans les airs, se font ainsi un jeu de terrifier ou de tromper les hommes. Et Aristote ne voit là qu’une combustion de l’air ! Une comète ne serait qu’une vapeur ignée ! Il paraît bien plus sûr à Luther de dire que, quand Dieu le veut, une comète s’allume au firmament en signe de terreur, ou qu’un arc-en-ciel brille en signe de grâce. On dispute aussi sur les couleurs de l’arc-en-ciel. Quelques-uns estiment qu’il y en a quatre : couleur de feu, jaune, vert et bleu de mer. Luther croit qu’il n’y a que deux couleurs, celle de feu et celle de bleu de mer. Le jaune résulte du mélange des deux. Les couleurs ont été ainsi disposées par Dieu pour que le bleu de mer nous rappelât sa colère passée, et la couleur de feu le jugement dernier.

Si Copernic avait passé par Wittenberg, et que Luther eût été le maître dans sa bonne ville comme Calvin l’a été à Genève, je ne sais trop s’il ne l’eût pas fait bannir comme un dangereux hérétique. En tout cas, il eût certainement vu en cet astronome quelque