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comme une histoire de saint. Nos légendes pieuses, tout imprégnées souvent d’une grâce morbide et de malsaine tendresse, conviennent merveilleusement à ce monde de reclus et de recluses qui vivent en Espagne, en France et en Italie. Ces âmes excellentes, mais accablées de toute espèce d’infirmités, ces intelligences à peine développées, d’une adorable candeur, sans grande élévation, sans profondeur, sans idéalisme, ont des besoins de piété enfantine que ne connaissent point les races du nord. Il faut laisser aux Latins cette fleur exquise de sensualisme religieux qu’on appelle une « vie de saint. » Les Allemands n’auront jamais cela ; qu’ils en prennent leur parti. Leur fade onction piétiste est particulièrement quelque chose d’écœurant.

Après le baccalauréat biblique, Luther expliqua en public à Wittenberg l’épître aux Hébreux, les épîtres à Tite et aux Galates, la Genèse et le Psautier ; mais que pouvaient être de pareilles études, entreprises sans la connaissance de l’histoire et des langues originales ? Un passage des Prophètes, comme celui d’Habakuk (II, 4), un mot de saint Paul, comme celui de l’épître aux Romains (I, 17), causaient à Luther des peines infinies. Arrêté à chaque pas dans l’interprétation de la Bible par son ignorance des langues anciennes, Luther en était réduit à « épeler » ce livre, comme l’a dit Mathesius. On veut que son doctorat en théologie (1512) ait eu une influence capitale sur ses études exégétiques ; mais il n’y paraît guère. Il avoue lui-même que, quoique docteur de la sainte Écriture, il eût fait volontiers le voyage à Rome pour entendre un psaume, un des dix commandemens, ou même un morceau du Credo. Et de fait, dans son explication des psaumes des années 1513 et 1514, il se sert encore d’une mauvaise traduction latine qu’il essaie vainement quelquefois de corriger d’après l’hébreu. Il allégorise, il suit la règle du triple sens, et déclare insuffisante et fausse l’interprétation grammaticale et historique. Il répète à satiété : ce psaume, d’après le sens littéral, traite du Christ, et, d’après le sens allégorique, de l’église et des tyrans qui la persécutent. D’après le sens tropologique, il est dirigé contre la corruption de la chair, le monde et le diable. En un sens général, il peut aussi être rapporté à David.

Dans son explication des sept psaumes de la pénitence, imprimée en 1517, on constate un progrès notable ; mais il faut se rappeler que Reuchlin, en 1512, avait donné une édition latine de ces psaumes avec des explications et des remarques pour l’étude de l’hébreu. L’illustre hébraïsant disait dans la préface que toute l’Écriture, l’ancien comme le Nouveau-Testament, était de Christ, et que la science de la langue originale permettait de mieux reconnaître les prophéties et comment elles s’accomplissent. On retrouve dans