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concile de Toulouse (1529), des synodes de Tarragone (1234) et de Béziers (1246), aussi bien que ceux du concile d’Oxford (1408), voulaient surtout prévenir les fausses interprétations, et partant les hérésies. Je suis loin de nier que l’église romaine, qui en fait subordonna toujours l’Écriture à la tradition, ne fût au fond absolument hostile à toute version en langue vulgaire de l’ancien ou du Nouveau-Testament ; je dis seulement qu’en un temps où les moines et les prêtres lisaient rarement la Bible, les laïques ne la lisaient presque jamais. Il a fallu la prodigieuse diffusion de la traduction de Luther pour rendre la Bible populaire en Allemagne. Aucun des contemporains, ni Lange, ni Krumpach, ni Amman, ni Nachtgal, ni Frölich, Hetzer, Capiton, Denk, qui translatèrent aussi quelques parties du nouveau ou de l’Ancien-Testament, ne peut être comparé à Luther. Ce grand homme a créé la prose allemande ; il a élevé le moyen-allemand au rang de langue nationale. Il a servi les hautes destinées de sa race en assurant dès lors la prépondérance de l’Allemagne du nord sur l’Allemagne du sud. Cette langue allemande, dont Klopstock a dit qu’elle est ce qu’étaient les Germains eux-mêmes dans ces jours reculés où Tacite les étudiait, — indépendante, sans mélange, et ne ressemblant qu’à elle-même, — cette langue, qui avait tendu à se fixer, au XIIIe siècle, avec la poésie chevaleresque du temps des empereurs de la maison de Hohenstaufen, mais qui était redevenue flottante quand l’idiome de la Souabe disparut avec les Minnesinger et qu’avec les Meistersänger, les maîtres chanteurs, reparut l’infinie variété des dialectes, — cette langue sortit enfin de ses fluctuations perpétuelles au XVIe siècle, grâce à la traduction allemande de la Bible de Luther.

Après le Nouveau-Testament, l’ancien. Le plus facile était fait. La partie de l’Écriture que Luther considérait comme capitale était dans les mains de tout le monde. Restait la traduction de la Bible hébraïque, œuvre ardue, immense, qui lassera Luther lui-même. Il n’osa pas commencer seul cette version à la Wartbourg. De retour à Wittenberg, il y travaille avec une âpre ardeur. En novembre 1522, il mande à Spalatin : « J’en suis au Lévitique… J’ai résolu de m’enfermer à la maison et de me hâter si bien que, vers janvier, le Pentateuque soit sous presse. Il paraîtra à part, puis viendront les Livres historiques, et enfin les Prophètes. » En 1523, comme il l’avait annoncé, la première partie de la Bible est terminée. Le 4 décembre de la même année, il écrit à Nicolas Haussmann qu’après avoir achevé la seconde partie du vieux Testament, c’est-à-dire les Livres historiques, il travaille à la troisième, la plus laborieuse et la plus étendue. Ici en effet, il va beaucoup moins vite. A chaque instant, des difficultés insurmontables l’arrêtent. Job lui donne une peine immense. « J’ai beaucoup de mal à traduire Job à cause de