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de mauvaise humeur, et les élections des conseils-généraux, qui viennent de se faire, ont à peine remué l’opinion à la surface et pour un instant. Il ne faut pas s’y tromper, la France est fort jalouse de ses droits politiques, sauf à les livrer de temps à autre à qui veut les prendre ; elle tient tout au moins à l’apparence de ses droits, elle n’a pas pour cela une passion immodérée du scrutin. Les appels trop fréquens au suffrage universel finissent par fatiguer ou par ressembler au signe importun d’une crise qu’on voudrait voir se clore, et qui se prolonge obstinément. De là cette indifférence dont on remarque presque toujours le progrès à mesure qu’on s’éloigne des circonstances qui ont violemment secoué l’opinion. Au premier vote, l’empressement est marqué et à peu près universel ; au second vote, l’ardeur est déjà refroidie ; au troisième scrutin qui s’ouvre, les intérêts commencent à ressentir de l’ennui, on se demande si on va être condamné au vote forcé et perpétuel. Les hommes ardens des opinions extrêmes restent seuls au combat, toujours prêts à saisir une occasion nouvelle d’agitation. Il en résulte que les élections, quand elles se succèdent fréquemment comme cette année, ont un caractère énigmatique, souvent contradictoire, ou qu’elles risquent de n’être qu’une expression confuse de l’opinion. Il y a des villes, comme Marseille, où sur 75,000 électeurs inscrits, 40,000 s’abstiennent, de sorte que les élus ne représentent qu’une fraction d’une minorité. Il est certain que l’abstention, sans prendre partout les mêmes proportions, a été en général assez considérable.

Tel qu’il est néanmoins, que veut dire ce dernier vote ? Que peut-on conclure de ces élections rapprochées des deux ou trois autres élections qui se sont succédé depuis huit mois ? Autant qu’on en puisse juger d’après des évaluations toujours approximatives, sur près de 3,000 cantons, il y en aurait de 8 à 900 où il devra y avoir un scrutin de ballottage. Parmi les élus, on compterait près de 100 bonapartistes, près de 200 légitimistes, un peu plus de 200 radicaux. Le reste formerait une masse compacte désignée sous le nom de républicains modérés et de conservateurs libéraux, et cette masse ralliée au gouvernement s’accroîtra certainement par le scrutin complémentaire. En somme, le résultat est parfaitement rassurant ; les élections dernières sont plus conservatrices que celles qui les ont précédées immédiatement, et elles le sont moins que celles d’où sortait l’assemblée nationale au mois de février. Au fond, quand on y regarde de près, à travers des apparences de contradiction et d’indifférence publique, il ne faut pas croire que l’opinion aille à l’aventure autant qu’il le semblerait. Au mois de février, sous l’impression de la guerre et d’une révolution flagrante, l’opinion était résolument conservatrice, elle l’était peut-être trop ; elle craignait de tomber dans la réaction, et aussitôt, à la première occasion, aux élections municipales et aux élections parlementaires du 2 juillet, elle allait dans le sens républicain. Aujourd’hui, reprenant un certain équilibre, elle rede-