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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

sèrent l’invasion des barbares, il l’a prévenue ; ils virent les armes de l’ennemi dans leur pays, lui, il a vaincu ses adversaires sur leur propre territoire. Je pense aussi que, s’il en est qu’Harmodius et Aristogiton, ces hommes dont le dévoûment au peuple fit éclater la constance et la tendresse mutuelle, reconnaissent comme unis à eux par des liens plus étroits qu’à vous-mêmes, s’il en est dont ils aiment à s’approcher dans les enfers, c’est Léosthène et les compagnons de ses luttes. Rien de plus juste en effet, car les actions que ceux-ci viennent d’accomplir ne sont pas inférieures, elles sont même, s’il faut le dire, plus grandes : ce ne sont pas seulement les tyrans de la patrie qu’ils ont renversés, ce sont les tyrans de toute la Grèce. » La rhétorique se laisse sentir dans ces rapprochemens ; mais elle passe presque à la faveur de l’invention d’Hypéride, de ce tableau dont il nous occupe en échappant lui-même à la banalité. Comment d’ailleurs la rhétorique serait-elle complètement absente des lieux-communs ? Or les lieux-communs règnent en maîtres dans un pareil sujet.

Le double caractère de la cérémonie, funèbre et national, déterminait deux sources principales de développemens obligés : il fallait consoler les parens des morts, il fallait célébrer la patrie. Les consolations, mises à la fin du discours, tenaient toujours peu de place. L’état, se substituant à la famille, rappelait par la bouche de l’orateur qu’il se chargeait des orphelins ; il parlait du patrimoine de considération et de gloire laissé aux siens par celui qui était tombé pour le salut commun ; puis, après avoir essayé ainsi d’atténuer les douleurs privées, l’orateur se retirait discrètement pour n’en pas gêner la dernière expression. Tel était le sens général des paroles graves et sobres qui précédaient dans une oraison funèbre athénienne la conclusion ordinaire : « pleurez chacun les vôtres, et retirez-vous. » Hypéride se conforme à l’usage et s’étend peu dans cette partie de son discours, qu’il traite du reste sur le ton convenable. Son langage est calme et presque recueilli ; son éloquence s’éteint peu à peu dans des nuances graduellement adoucies, qui établissent comme une transition entre l’éclat de la fête publique et les marques particulières de deuil que la nature va réclamer. Nous avons vu que son caractère propre se fait mieux voir dans la facilité rapide avec laquelle il paie aux Athéniens le tribut habituel des louanges. Leur noblesse entre tous les peuples grecs, l’autochthonie, leur grandeur d’âme, leur éducation, leurs exploits passés, tous ces points sont touchés par lui, vivement indiqués ou éclairés d’une lumière inattendue, au gré de sa convenance et dans le sens du mouvement général où son discours est comme emporté. La principale des qualités qu’il déploie dans ces matières assez complexes, c’est l’aisance, ce qui est d’autant plus