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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

Cicéron, qui n’était pas un juge d’école, le louait sans restriction comme un grand artiste et un orateur parfait. On pourrait se contenter d’opposer ces jugemens les uns aux autres. Cependant, comme au lendemain de la guerre lamiaque la décadence se prononce, il n’est pas invraisemblable en soi que les premiers signes en aient apparu dans le discours qui clôt la période de l’âge d’or. Au reste le même Hermogène accuse Hypéride d’être négligé et de prodiguer les mots, et cette fois Denys, sans aller aussi loin, n’est pas en contradiction avec ce rigoureux censeur : il ne trouve pas notre orateur aussi limpide ni aussi sobre que les plus purs attiques. Ces critiques s’accorderaient jusqu’à un certain point avec cette qualité de souplesse aisée, d’abandon gracieux, dont les critiques anciens étaient très frappés. Un peu de laisser-aller n’est nullement incompatible avec la grâce naturelle ; mais qui pourrait se flatter aujourd’hui de montrer du doigt avec certitude les endroits où se laisseraient soupçonner ces légères défaillances d’un des princes de la tribune athénienne ?

Bornons-nous à indiquer ces délicates questions sans prétendre les résoudre. En revanche, nous pouvons reconnaître avec sûreté et louer sans crainte les mérites de la composition, un art d’autant plus heureux qu’il se fait moins voir, le choix judicieux et la proportion des développemens, enfin et par-dessus tout l’allure aisée qui ne l’abandonne nulle part. Il ne paraît jamais sentir les chaînes des conventions qui lui sont imposées, et jamais il n’interrompt le cours de sa facile éloquence. N’oublions pas le prix de cette qualité dans une œuvre d’une médiocre étendue, où chaque partie ne pouvait être traitée isolément sous peine de sécheresse et de froideur ; toutes au contraire se tiennent et se fondent dans un ensemble que domine la même impression agréable et vive, sur lequel se répand également la même lumière douce et brillante : c’est là dans tous les temps le signe d’une bonne composition.


II.

Il y a un point qui ressort naturellement même de tout essai d’appréciation littéraire au sujet de ce discours, c’est que le côté historique y prime tout le reste. Non-seulement c’est ce qui nous intéresse le plus aujourd’hui, mais nous sentons aussi que c’est ce qui toucha le plus les Athéniens : là est la vie, là est l’éloquence, là est l’usage véritable de l’art en dehors des inanités de la flatterie d’apparat. Hypéride ne perd pas de vue un seul instant les circonstances présentes : il y ramène l’éloge des qualités nationales, il y subordonne les souvenirs du passé, qui ne servent plus qu’à rehausser la gloire actuelle de ses concitoyens, enfin il les apprécie