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leur propre fonds et n’avaient pas besoin qu’on l’accrût par l’introduction des armes à fou, des spiritueux et des maladies qui déciment aujourd’hui ces races et font prévoir leur extinction totale partout où elles sont en contact avec nous ; mais les navires baleiniers, les sandaliers, les troqueurs, visitèrent à leur tour la Nouvelle-Calédonie ; ils y firent un commerce d’échanges sans moralité et sans scrupule. On vit bientôt les chefs noyer dans l’eau-de-vie leur raison et leur prestige, essayer la portée de leurs nouvelles armes sur leurs propres sujets, conduire eux-mêmes leurs filles à la prostitution : chose inouïe, car auparavant la chasteté avait été l’une des rares vertus des Calédoniennes. L’abus des spiritueux ne tarda pas à engendrer la phthisie dans ce pays à température très variable, où le froid des nuits succède sans transition à la chaleur du jour, où les pluies diluviennes alternent avec la sécheresse d’un ardent soleil, de sorte qu’aujourd’hui, bien que nous ayons interdit la vente de l’alcool, presque tous les Néo-Calédoniens meurent de phthisie pulmonaire.

L’œuvre de perdition était accomplie lorsque intervinrent les missionnaires catholiques. En 1843, une petite compagnie de cinq hommes courageux, trois prêtres et deux frères servans, fut conduite à la Nouvelle-Calédonie, où elle débarqua sur le rivage du nord-est, sans armes, presque sans provisions, au milieu de tribus haineuses et féroces. Ils venaient conquérir le pays par la seule persuasion et le gagner à la foi et à la morale chrétiennes, — beau dévoûment, mais mal placé. Avant la corruption apportée par les caboteurs, les missionnaires eussent-ils triomphé de l’abrutissement de ce peuple ? C’est peu probable : ils avaient affaire à des tribus belliqueuses et non point aux douces peuplades de Taïti. Au moment de l’arrivée des missionnaires, la tentative de convertir les Néo-Calédoniens était singulièrement inopportune. Irrités par un juste châtiment que leur avaient infligé les matelots d’une corvette française, les naturels cherchaient une occasion de vengeance. Les pionniers de la mission ne furent pas d’abord inquiétés : on se contenta de leur laisser subir toutes les privations, et leur première épreuve fut la perspective de mourir de faim. Les hostilités directes ne se firent point attendre. Les attaques nocturnes, l’incendie, l’assassinat, toujours imminens, souvent exécutés, chassèrent la mission après quelques années. Elle revint sur ses pas avec une louable ténacité à l’époque où la France prit possession définitive de l’île ; mais elle ne se releva pas de ce premier échec. Les établissemens, les magasins, les églises, échelonnés sur cette côte orientale, ont été successivement détruits ; les conversions sincères sont nulles. Toutefois les missionnaires ont acquis