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comme nous dirions aujourd’hui, il est au plus haut degré anticlérical. C’est un des traits marquans de son caractère ; sur ce point-là, les dissidences s’effacent : incrédules et croyans se réunissent dans la haine de l’esprit ligueur et ultramontain. Barbier, Marais, Hardy, natures très diverses, reproduisent fidèlement par leur accord et par leur diversité cette rencontre sur un terrain commun, cette coalition des défiances et des antipathies de la bourgeoisie parisienne en matière de religion. Marais est sceptique, et, selon son expression, « bayliste ; » son style abonde en malices contenues qui sont bien d’un temps où grandit Voltaire. Sous la régence, il représente une très faible minorité du peuple de Paris ; il a plutôt les opinions émancipées des classes supérieures que les sentimens conservateurs du tiers-état : il sert de trait d’union entre deux mondes qui se touchent sans se pénétrer. Eh bien ! ce même Marais, voltairien avant l’apparition de Voltaire, éclate avec aigreur contre les légèretés de plume et les frasques de conduite qui échappent au jeune Arouet ; il est scandalisé, il le traite de « fou, de myrmidon et d’impudent. » Il applaudit presque aux coups de bâton et à l’exil, tant il est vrai que, même sous la liberté d’une pensée qui a rompu avec les préjugés, nous retrouvons ce fonds d’impertinent mépris prodigué de tout temps aux gens de lettres et aux philosophes par l’esprit bourgeois ! Épicurien, Barbier a pour principe l’indifférence ; occupé de ménager ses aises en ce monde, il ne se fatigue pas à raisonner la croyance ou l’incrédulité. Il estime la religion une chose utile, excellente pour le peuple ; il entend qu’on la respecte, sauf à s’en passer lui-même et à s’en moquer dans l’occasion. Sur les controverses théologiques qui passionnent l’opinion, il prononce un mot superbe où il se peint au vif. « Cela, dit-il, est sans conséquence pour le commerce ! » Il a pourtant entendu parler « du livre d’Encyclopédie, » il sait que l’Esprit des lois est « un chef-d’œuvre, » il dit de Voltaire : « notre fameux poète, » il est d’avis que Rousseau « écrit au-dessus de tout, » sortes de phrases qui sentent non pas « la pension ou l’abbaye, » selon le mot de La Bruyère, mais le comptoir et la boutique, c’est-à-dire l’admiration banale des esprits du commun, prompts à se récrier de confiance sur les réputations à la mode et à prendre leur enthousiasme dans la gazette. Voici en contraste avec Barbier l’indifférent et Marais l’incrédule un chrétien déclaré : Hardy ne procède ni de Bayle ni de l’Encyclopédie ; son maître, ce n’est pas Voltaire, c’est Rollin.

Malgré la contagion des influences nouvelles, il garde jusqu’à la fin, dans leur intègre sincérité, les convictions de sa jeunesse. Nulle part vous ne rencontrez sous sa plume les licences de pensée ou d’expression si fréquentes chez ses devanciers. Il appelle