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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/223

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5 et 6 octobre : c’est un patriote. On voit cependant une lutte se livrer chez lui entre cette ivresse communiquée et son flegme habituel. L’impétuosité des événemens lui porte à la tête, il a le vertige tout en admirant ; sa joie patriotique laisse deviner des frayeurs honteuses d’elles-mêmes qui attendent le moment d’éclater. Il ne doute pas que l’assemblée ne sauve la France ; seulement il trouve étrange que le succès définitif recule et se dérobe à chaque victoire de la bonne cause. Le drame est superbe, mais trop long, il le voudrait plus simple et plus clair ; dès le mois d’octobre 1789, son élan se fatigue, il aspire au dénoûment. Ainsi l’on se figure bon nombre de bourgeois de Paris ses contemporains, éblouis d’abord et entraînés avec lui, pris ensuite de lassitude, comme des hommes soumis à un régime excessif qui, en les surexcitant, les accable. Ils n’étaient pas au bout ; il leur restait à savoir ce qu’il en coûte pour sortir de ces situations extraordinaires, et ce qu’elles contiennent de péripéties et d’émotions forcées.

Il ne faut pas demander aux mémoires de Hardy des vues bien profondes sur les commencemens de la révolution, cette philosophie politique passe son intelligence ; mais il nous donnera le détail vivant de l’agitation révolutionnaire, l’aspect des rues populeuses mises en rumeur par le tocsin, en un mot la série accidentée des innombrables petits faits qui, observés à distance et groupés dans un seul coup d’œil, forment la masse imposante des grandes époques historiques : là est l’intérêt de son témoignage. Il a fraternisé avec les combattans du 14 juillet ; un flot de peuple insurgé a passé sous ses fenêtres ; il a vu Paris « ivre de joie » à la nouvelle de ce fait d’armes « surnaturel, » et la garde nationale, « par une autre espèce de miracle, » s’organiser « en moins de vingt-quatre heures. » Dans son district, il a voté aux élections des premiers officiers ; s’il n’a pas pris lui-même la Bastille, il a « illuminé » le soir de la conquête, et assisté le surlendemain au service funèbre célébré dans sa paroisse en l’honneur des victimes. Pendant le tumulte de ces chaudes journées, tandis que les institutions nouvelles naissent bruyamment de l’inspiration populaire et de la nécessité, quelques débris du moyen âge essaient de se ranimer à cette ardeur, de se rajeunir sous les couleurs nationales. Croirait-on par exemple que la basoche de Philippe le Bel s’est levée, elle aussi, contre la Bastille, et a soutenu le mouvement les armes à la main ? Elle avait équipé deux bataillons fort alertes qu’un vieil ami du parlement, tel que Hardy, n’a garde d’oublier : « aujourd’hui, 14 juillet, entre quatre et cinq heures de l’après-midi, j’ai vu de mes fenêtres briller au soleil une prodigieuse quantité d’armes sur le pont Notre-Dame ; c’était la compagnie des clercs de la basoche du Palais,