Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelé à la mauvaise heure, lorsqu’on désespérait de tout, occupé depuis huit mois à étancher le sang des blessures faites ou élargies par d’autres, et maintenant exposé chaque jour aux querelles, aux récriminations du bonapartisme et du radicalisme, qui ne peuvent lui pardonner d’avoir pris leur place avec quelque avantage au chevet du grand malade, qui croient sans doute le moment venu de reprendre le cours de leurs triomphantes expériences.

Oui, c’est ainsi, il fallait s’y attendre, et l’étonnement serait presque de la naïveté. Les partis sont implacables, ils n’ont pas plus de pitié que de mémoire. Ne leur parlez pas de patriotisme, ne leur demandez pas de respecter au moins ce repos momentané et nécessaire d’un pays revenu à peine d’hier à la vie, et si peu relevé encore des mortelles épreuves qu’il vient de traverser. Leur première préoccupation est d’essayer de triompher même sur les ruines qu’ils ont faites, et de se prévaloir même des embarras qu’ils ont créés. L’essentiel pour eux, c’est de se remuer, d’agiter leur drapeau, d’entretenir une apparence d’incertitude à leur profit, et surtout de faire la guerre au gouvernement qui existe, sous le spécieux prétexte que ce gouvernement n’est que provisoire, et qu’il n’a pas réussi en quelques semaines, en quelques mois, à remettre la France sur le chemin de la prospérité et de la grandeur. Sans doute il n’a pas fait tout ce qu’il a voulu, ce gouvernement improvisé dans une heure de détresse pour la sauvegarde publique ; il a fait du moins ce qu’il a pu pour rendre à la France le sentiment de la vie. Par le traité qu’il vient de signer à Berlin, il relègue l’occupation étrangère dans son dernier retranchement. Par un décret d’hier, il répartit entre les départemens qui ont souffert de l’invasion le premier secours de 100 millions voté par l’assemblée. Il a dompté, il y a cinq mois, l’insurrection la plus formidable, sans tomber le lendemain dans la réaction, et même peut-être sans aller jusqu’au bout des sévérités légitimes que les considérations d’ordre public exigeraient. À peine échappé à une crise sans exemple, il a rendu au pays la liberté de toutes ces assemblées locales qui sont à l’heure actuelle en pleine délibération, et qui, avec tous les avantages qu’elles assurent, ne laissent pas de donner du travail à ceux qui ont pour mission de les diriger ou de les contenir. Pour tout dire, il a eu du moins le mérite de retenir une société éperdue sur le penchant de l’abîme où elle se précipitait, et en fin de compte, si les Allemands sont en France, si le pays reste sous le poids de la plus exorbitante indemnité, si même cette réorganisation nationale, qui est devenue le mot d’ordre de notre politique, ne marche pas aussi vite qu’il le faudrait, qui peut être responsable ? Est-ce donc ce gouvernement qui, depuis huit mois, n’a d’autre souci que de faire simplement et honnêtement son devoir dans une situation désastreuse qui n’est point son œuvre ? N’est-ce pas plutôt la faute de tous ceux qui