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réunis en comité de vigilance, et pendus séance tenante au nom de la loi de Lynch.

La ville qui vient de brûler si malheureusement était l’orgueil des Américains. Ces hommes rustiques se plaisent à baptiser leurs cités naissantes de toute sorte de noms coquets. D’abord, quand Chicago sortait des limbes du désert, ce fut la Reine des prairies ; plus tard, quand la ville se fut développée et commanda tout le commerce de ces immenses lacs intérieurs, elle devint la Reine des lacs. Plus tard encore, — et c’était hier, — quand elle fut marquée comme la principale étape du chemin de fer qui relie New-York à San-Francisco, ce fut la Merveille de l’ouest, la Perle de l’Union. Pour les Américains, surtout les hommes du far-west, le monde tourne autour de Chicago. A part Melbourne et San-Francisco, deux fois plus jeunes, mais aussi deux fois moins peuplées, Chicago est la ville la plus récente que les hommes aient bâtie, et celle dont les développemens ont été les plus miraculeux. Elle n’existait pas en 1830, elle a aujourd’hui 310,000 habitans ; c’est dire qu’elle dépasse en importance Marseille, Lyon, Manchester, Birmingham, Glasgow. Tout autour d’elle, des villes beaucoup plus vieilles, Saint-Louis, Cincinnati, Louisville, ont été éclipsées du premier jet, et l’élan de Chicago ne s’arrête pas. Quand je la vis en 1867, elle avait 225,000 habitans, elle en comptait 250,000 quand je la revis un an après, en 1868. « Notre ville deviendra la première du globe, me disait un jour un Chicagois ; elle donne la main au Japon et à la Chine par San-Francisco, à l’Europe par New-York. »

Quand Tocqueville passa eh Amérique en 1832, Chicago n’était qu’un petit poste de traitans entretenu par les Astor de New-York pour y faire le commerce des fourrures avec les Indiens. Il y avait là un fortin où quelques soldats de l’armée fédérale tenaient en respect les Peaux-Rouges. Le Faucon-Noir errait en ces lieux avec ses bandes. En 1837, il fit aux États-Unis une guerre sanglante, fut vaincu, transporté plus loin avec sa nation, et le terrain demeura libre. La ville de Chicago fut incorporée, c’est-à-dire reconnue comme commune ; une école, une église, un journal, furent fondés. Le chiffre de la population dépassait alors 4,000. Sur les rives du lac Michigan, au bord d’une petite rivière assez profonde pour que les navires l’accostent, s’éleva un port de commerce qui est devenu une des premières places du monde, et la première de beaucoup pour le commerce des céréales, des bois, des viandes salées. Pour l’entrepôt des thés, des étoffes, de la houille, des métaux, Chicago est aussi sans rivale dans tout l’intérieur des États-Unis, et peut être appelé le plus grand dock du far-west. La houille et les métaux, le fer, le cuivre, le plomb, le zinc, sont produits en abondance par les états voisins et par l’état même d’Illinois, où est situé Chicago, qui n’en est pas cependant la capitale. Dans ces contrées privilégiées, où le sol est déjà si plantureux, le sous-sol n’est pas moins fécond ; tout concourt à faire