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rouge et humide, une odeur nauséabonde, une buée chaude et épaisse, vous saisissent à la gorge ; on ne peut travailler que l’hiver, par les grands froids. Le sang est précieusement recueilli, rien ne se perd.

Il resterait encore à dire un mot des scieries mécaniques de Chicago, où se débitent tant de pieds de bois qu’on en pourrait faire le tour du monde. C’est là que se confectionnent ces maisons élégantes qu’on envoie ensuite dans tout l’ouest, et dont nous avons vu des modèles aux dernières expositions. Tout cela n’existe plus, tout cela est brûlé, et avec tant d’édifices industriels, une foule d’autres établissemens dont Chicago pouvait être fier. Les théâtres, les églises, les universités, les académies, les collèges, les grands hôtels, une partie des beaux quartiers, entre autres celui de Michigan-Avenue, qui pouvait le disputer à la Cinquième avenue de New-York et au West-End de Londres lui-même, tout cela n’est plus qu’un amas de cendres. La moitié des élévateurs ont disparu, une partie des grandes boucheries, tous les entrepôts de thé et autres denrées coloniales, tous les vastes magasins d’étoffes et de nouveautés de tout genre, ce que les Américains, employant une expression étrange, appellent du nom de dry-goods ou marchandises sèches, tout cela n’est plus. Ces vastes hôtels qui pouvaient donner asile à 2,000 voyageurs à la fois, le Sherman-home, le Tremont-house, brûlés également. Ces édifices somptueux où s’imprimaient les journaux, notamment le Chicago-Tribune, la feuille la plus importante de tout l’ouest, et cent autres édifices publics, non moins riches et imposans, la Bourse, le palais de justice, les banques, etc., tout cela a disparu.

Une chose console au milieu de tant de désastres : c’est que le sentiment de la solidarité n’a pas failli un moment au cœur des Américains, et que de tous les points des États-Unis immédiatement des vivres, des vêtemens, des tentes, ont été envoyés à une population tout entière restée tout à coup sans ressource, sans abri. Dès le lendemain, la ville renaissait de ses cendres, et un journal se réimprimait, c’était le Chicago-Tribune, qui avait tout perdu, et qui, probablement sur une petite feuille, le format des premiers jours, et avec une petite presse à main, donnait sur le lieu même du sinistre des détails sur la grande catastrophe. L’élan charitable, toujours si grand aux États-Unis, ne s’est pas arrêté une minute. Des souscriptions ont été partout ouvertes, et il y a déjà 50 millions de francs de souscrits pour aider aux réparations et permettre de relever les ruines. Le total du désastre est évalué à 1 milliard de francs ; déjà, on l’a dit, la ville se relève ; le fait n’est pas nouveau en Amérique, et plusieurs fois j’en ai été témoin en Californie : trois fois San-Francisco s’est aussi rebâti plus beau et plus florissant. Il en sera de même pour Chicago.


L. SIMONIN.


C. BULOZ.