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doute encore, notre industrie allait avoir à supporter un surcroît d’impôts et de charges résultant de la guerre, tandis que l’Alsace, devenue allemande, n’avait pas à payer la rançon du vaincu, et peut-être recevrait des indemnités prélevées sur nos dépouilles. Comment dès lors le gouvernement songeait-il à opposer aux chefs d’industrie, aux ouvriers français depuis longtemps privés de travail, une concurrence aussi redoutable, et venait-il ajouter aux ruines de la guerre le péril d’une crise manufacturière ? — Voilà ce qui donnait aux objections un intérêt patriotique, et certainement, si elles n’avaient pas eu cette pensée et ce caractère, il ne se serait pas levé d’opposans. Un orateur du libre échange aurait peut-être démontré que, la perte de l’Alsace étant pour la richesse nationale un grand malheur, il convenait aux intérêts de la France d’en atténuer les effets par le régime le plus libéral, qui permît de continuer des transactions avantageuses pour notre consommation et pour notre bien-être, — que, si la grande industrie de la ville de Mulhouse nous fournit une masse de produits, elle nous achète en retour des fils et des tissus dont elle augmente la valeur par l’impression, — enfin que, si nous sommes assez heureux pour la remplacer sur notre sol, cela ne se fera point en un jour, et que d’ici là il faut se garder de dresser entre elle et nous des barrières de douane. Ce n’était pas sans doute le moment d’introduire dans un tel débat les argumens du libre échange. Il suffisait de rappeler, comme le fit M. Thiers, que depuis de longues années les produits de l’Alsace et de la Lorraine avaient circulé sur notre marché sans ruiner les autres industries françaises, et que, loin de créer une concurrence nouvelle aux fers de la Haute-Marne ou aux tissus normands, le projet de traité frappait de certains droits, à partir de 1872, des marchandises qui auparavant ne payaient aucune taxe. En réalité, quand on se place au point de vue protectioniste, on est obligé de considérer la cession de l’Alsace comme un avantage, — que la France paie bien cher, — pour les industries qui avaient à lutter avec les usines de cette belle province. N’avons-nous pas vu pour le même motif, mais en sens inverse, les filateurs et les tisseurs de l’Allemagne déclarer que la conquête de Mulhouse est pour eux un fatal présent ?

La crainte de voir les produits allemands d’outre-Rhin pénétrer abusivement en France sous le couvert des franchises alsaciennes devait disparaître, aux yeux de l’assemblée, devant les mesures prises pour empêcher ce genre de fraude, mesures dont l’efficacité avait été déjà mise à l’épreuve depuis plusieurs mois. L’assemblée, adoptant l’avis de la commission, n’en persista pas moins à demander que la réciprocité fût expressément accordée aux produits