Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Allemagne, c’est qu’elle suivra son intérêt, rien que son intérêt. Or cet intérêt lui commande de ne point laisser son débiteur dans une situation qui compromettrait sa créance, de ne point se nuire à elle-même dans son bien-être, dans ses transactions, dans son crédit, et de ne point indisposer contre elle tous les états européens. Nous avons indiqué plus haut sous quelle forme et dans quelle mesure la prolongation de l’occupation du territoire français affecte l’Allemagne elle-même et porte atteinte au commerce général, comment elle peut, en poussant à bout des populations malheureuses et irritées, rouvrir des sillons sanglans. Si en 1817 et en 1818 le duc de Wellington, l’un des plus décidés, mais le plus sage de nos ennemis, pouvait écrire à son gouvernement que l’irritation des Français contre les troupes étrangères croissait de jour en jour et qu’il y avait là un grave péril, si cette considération, non exprimée (elle ne devait pas l’être), mais profondément sentie, détermina les souverains alliés à diminuer les termes de l’occupation, que ne dirait-on pas aujourd’hui, en l’état excité où se trouve la France sous le double coup d’une défaite et d’une crise révolutionnaire ! L’argument est plus pressant en 1871 qu’il ne l’était en 1818, et, à supposer que les hommes d’état qui dirigent les affaires à Berlin ne s’effraient pas, pour l’avenir, de l’abîme qui vient de se creuser entre les deux peuples, leur honneur, leur responsabilité devant l’histoire leur conseille de ne point laisser à la victoire la tentation ou l’obligation de devenir insensée. En lisant le discours que M. de Bismarck a prononcé le 25 octobre devant le Reichstag, on reconnaît dans certains passages la trace de cette préoccupation. Arrivé au faîte du triomphe, le trop habile arbitre de l’Allemagne aspire à ne point monter plus haut ; il sent qu’il faut s’arrêter, et, en des termes dont nous n’accepterions pas l’orgueilleuse bienveillance, il recommande à son parlement de ne point nuire à la France au-delà de ce que peut exiger l’intérêt de l’Allemagne, et même de venir en aide à la France dans la mesure nécessaire pour sauvegarder la créance de l’Allemagne.

Quant au paiement des 3 milliards en 1874, la France possède assez de ressources pour payer sa défaite, et la probité de ses gouvernemens, sans exception aucune, n’a jamais subi l’outrage d’un soupçon. Elle fera honneur à sa signature, mais à quel prix ? Il ne s’agit pas seulement d’elle. — Toutes les nations, y compris l’Allemagne, sont intéressées, compromises même par l’opération colossale de ce paiement. Pour fournir les 1,500 millions et pour préparer le quatrième demi-milliard de l’indemnité, il a fallu de toute nécessité recourir à des procédés qui ont pesé sur les grands marchés de l’Europe. Quelques maisons de banque y ont gagné, mais les peuples