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fait du nom de Grec moins le nom d’un peuple que le signe de l’intelligence même, et qu’on désigne par ce nom les hommes qui participent à notre éducation plus encore que les hommes qui partagent notre origine. »

Le succès du panégyrique achève de rendre célèbre dans tout le monde grec le nom et le talent d’Isocrate ; à partir de ce moment, ce n’est plus seulement aux républiques, c’est aussi aux rois qu’il accorde ses louanges et qu’il offre ses conseils. Nous avons de lui trois discours écrits, de 375 à 370, pour les princes de Chypre ; ils sont intitulés Evagoras, à Nicoclès, Nicoclès ou les Chypriotes. Dans le premier de ces discours, il fait d’Évagoras, qui venait de périr victime d’un meurtre, un éloge que l’on dut lire avec plaisir non-seulement à Chypre, mais encore à Athènes : Evagoras s’était montré l’ami fidèle d’Athènes au lendemain même de ses plus cruels désastres ; il avait recueilli Conon échappé avec quelques vaisseaux à la catastrophe d’Ægos-Potamos, et, quelques années après, il avait servi d’intermédiaire entre les Perses, menacés par Sparte en Asie-Mineure, et les Athéniens, qui aspiraient à redevenir maîtres de la mer ; il avait mis à la disposition de Conon cette flotte, surtout phénicienne, qui gagna la bataille de Cnide et détruisit les escadres péloponésiennes. Aussi, quand un peu plus tard Evagoras se brouilla avec la Perse, Athènes, au risque de rejeter le grand roi du côté de Sparte, n’abandonna point Evagoras ; malgré les plaintes et les menaces de la Perse, elle ne cessa de l’aider d’hommes et d’argent dans la lutte inégale qu’il soutenait contre toutes les forces de la monarchie. Cette lutte venait de se terminer par un traité fort honorable pour Evagoras quand il fut assassiné ; mais sa mort ne mettait pas à néant les résultats de son règne. Dans cette île, que s’étaient disputée jusqu’alors l’influence grecque et l’influence phénicienne, il avait donné à la langue, aux lettres, aux arts, au génie de la Grèce une suprématie incontestée. Le discours d’Isocrate ne nous fournit pas, sur ce règne agité et fécond, sur les travaux et combats d’Évagoras, ces détails précis que nous serions heureux d’y trouver ; il est pourtant de quelque intérêt pour l’histoire, tant nous manquons de renseignemens sur ce curieux épisode de la lutte séculaire entre l’Europe et l’Asie ! Quant au discours à Nicoclès, c’est un sermon, une sorte de Petit Carême prêché devant un prince païen pour l’éclairer sur ses devoirs et lui proposer un idéal de gouvernement. On y retrouve l’utopie que Xénophon, vers le même temps, exposait dans sa Cyropédie, cette même théorie d’une monarchie absolue en droit, mais tempérée par la sagesse et la bonté du monarque. Choqués des défauts du gouvernement populaire et lassés des perpétuelles agitations au milieu desquelles ils vivaient, plusieurs esprits distingués s’étaient, dans ce siècle,