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s’inquiétèrent, ils lui firent sentir la nécessité de s’expliquer catégoriquement devant tout le peuple, afin d’éviter les malentendus et de bien déterminer sur quel terrain l’on marchait de part et d’autre. Nestorius promit de le faire, et, comme on approchait du 25 décembre, fête de la Nativité, il remit ses explications à ce grand jour : on ne pouvait effectivement en choisir un plus opportun pour parler sur le dogme de l’incarnation.

Le 25 décembre, toute la ville s’était portée à la basilique, sénateurs, prêtres et peuple. L’archevêque prêcha sur la Providence et les inénarrables desseins de Dieu concernant l’homme, œuvre de ses mains. Il rappela le crime de nos premiers parens, la condamnation dont ce crime avait frappé toute la race humaine, et la nécessité d’un rachat pour l’affranchir de la mort et du péché. Abordant alors le sujet direct de son discours, il s’écria : « J’ai été informé depuis peu que plusieurs d’entre vous désiraient savoir de moi s’il faut appeler la vierge Marie mère de Dieu ou mère de l’homme, théotocos ou anthropotocos ; que ceux qui m’ont fait la demande veuillent maintenant écouter la réponse. Dire que le Verbe divin, seconde hypostase de la très sainte Trinité, a une mère, n’est-ce pas justifier la folie des païens, qui donnent des mères à leurs dieux ? La chair ne peut engendrer que la chair, et Dieu, pur esprit, ne peut avoir été engendré par une femme ; la créature d’ailleurs n’a pu enfanter le créateur. » A l’appui de sa thèse que Jésus, né de Marie, était un homme, il cita ce passage de saint Paul : « par un homme la mort, et par un homme la résurrection. » Il cita encore cet autre passage du même apôtre sur le Sauveur du monde : « sans père, sans mère, sans généalogie. » — « Venir nous avancer le contraire, ajouta Nestorius, c’est soutenir que saint Paul a menti. Non, Marie n’a point enfanté le Dieu par qui est venue la rédemption des hommes, et le Saint-Esprit n’a point créé le Verbe divin, hypostase comme lui de la Trinité. Marie a enfanté l’homme dans lequel le Verbe s’est incarné ; elle a engendré l’instrument humain de notre salut. Le Verbe a pris chair dans un homme mortel ; mais lui-même n’est point mort, et il a ressuscité celui dans lequel il s’est incarné. Jésus est cependant un Dieu pour moi, car il renferme Dieu. J’adore le vase pour ce qu’il contient, j’adore le vêtement pour ce qu’il recouvre, j’adore enfin ce qui m’apparaît au dehors à cause du Dieu caché que je n’en sépare pas. »

Tel est le résumé du discours de Nestorius tel qu’il le publia lui-même. On y trouve plus de subtilité que de profondeur. Au lieu de discuter le sens élevé du mystère de l’incarnation avec des idées nouvelles, il se borne à des oppositions de mots, à la perpétuelle antithèse du créateur qui ne peut naître de sa créature, de la chair qui ne peut enfanter l’esprit, du fini qui ne peut produire l’infini.