Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contenir le pays en cas d’une insurrection soutenue par l’ennemi ; mais ce procédé de russification, à la longue infaillible dans les provinces du Dnieper, s’il y est appliqué « sans violence et avec discernement, » ne peut réussir dans celles de la Vistule. là il ne sert de rien de distribuer la terre des nobles aux paysans ; Polonais eux-mêmes, ils deviendront plus hostiles en arrivant à la propriété. On ne peut, pas davantage espérer qu’on étouffera jamais le sentiment national polonais, tant qu’il sera nourri et enflammé par une Galicie affranchie et voisine. Il faut donc tenter la réconciliation ; bientôt elle cessera d’être impossible. Quand les provinces du Dnieper seront complètement russifiées et que les Slaves occidentaux seront entièrement gagnés à la cause du panslavisme, il ne restera plus à la Pologne qu’à prendre dans la grande confédération slave la place qu’on lui réservera, ou à se courber sous le joug des Allemands. La Pologne, comme les autres membres de la famille slave, aurait son autonomie sous la présidence du tsar. Refuserait-elle cette indépendance et courrait-elle au suicide pour obéir à d’anciennes inimitiés qu’on ferait tout pour effacer ? Aujourd’hui les Polonais peuvent encore se bercer du rêve chimérique de rétablir l’ancienne Pologne jusqu’au Dnieper ; quand la Volhynie, la Podolie, Minsk et Grodno seront purement russes, cette vision cessera, et ils ne repousseront pas la position que leur intérêt le plus évident leur commandera d’accepter. Polonais et Russes sont du même sang ; par quelle contradiction la haine persisterait-elle entre eux, lorsque partout le principe de la race devient le fondement des nouveaux états ? La Pologne réconciliée, au lieu d’être l’avant-garde de l’Occident contre la Russie, deviendrait celle du monde slave contre l’Occident.

Tel est le programme tracé par le général Fadéef. Ce plan n’est nullement visionnaire ni optimiste. Il tient compte des difficultés existantes, et il indique le meilleur moyen d’y obvier. On ne peut dire que ce plan ne se réalisera pas dans l’avenir. N’oublions pas que c’est un Polonais, le marquis Wielopolski, qui, après les massacres de Galicie, en 1846, donna le premier une forme précise et une importance politique à cette idée littéraire et vague du panslavisme, et que c’était pour détruire l’Autriche. La pensée d’une réconciliation avec les Russes, en haine des Germains, renaît, dit-on[1]. Tout dépendra de la conduite de l’Autriche et de la Hongrie. Les

  1. La lettre « d’un Slave » à l’empereur Alexandre II, récemment publiée à Bruxelles et écrite par quelqu’un qui connaît bien la Russie et la Pologne, proche la réconciliation entre les deux pays, afin de résister à l’envahissement germanique. Cette idée semble gagner du terrain à Saint-Pétersbourg, où elle est appuyée par des hommes de grande autorité, à la tête desquels se sont placés le général Fadéef et le prince Bariatinski, le vainqueur du Caucase.