Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

christianisme. Douées d’avantages et de mérites différens, elles se jalousaient l’une l’autre, et chacune aspirait à la primauté dans la chrétienté orientale, le premier rang entre toutes appartenant d’un commun accord à l’église de Rome. Antioche faisait valoir en sa faveur sa double fondation apostolique par les deux princes de la prédication chrétienne, Pierre et Paul, son importance comme métropole ecclésiastique du vaste diocèse de Syrie, et aussi son rang dans l’ordre civil. Alexandrie opposait d’autres droits et d’autres prétentions aux prétentions et aux droits de sa rivale ; c’étaient la gloire de ses écoles où s’était créée l’exégèse chrétienne, l’éminence de ses docteurs admirés du monde entier, enfin le rôle de ses patriarches, qui était toujours de trancher les questions de doctrine dans les grandes controverses religieuses. Le débat de primauté avait été, il est vrai, jugé en faveur d’Alexandrie par le concile de Nicée dans le classement qu’il avait fait des sièges épiscopaux ; mais d’autres causes de jalousie avaient surgi, qui apportaient à l’ancienne rivalité un redoublement d’aigreur. L’église d’Antioche avait pris depuis un siècle un grand essor par ses écoles d’éloquence ; les grands orateurs, les grands écrivains chrétiens, les Basile, les deux Grégoire, Chrysostome et enfin Nestorius sortaient des écoles syriennes. Cette province pouvait se vanter aux IVe et Ve siècles d’avoir fourni les évêques les plus célèbres et rempli de ses fils les sièges épiscopaux les plus brillans, tandis qu’il fallait aux Alexandrins pour se montrer des conciles œcuméniques ou la polémique des dogmes. Cette infériorité offusquait leur orgueil, et leur bonheur était de pouvoir incriminer comme hérétiques quelques doctrines professées par les évêques et les clergés de Syrie. On en avait eu la preuve lors de la persécution de Chrysostome.

En second lieu, on voyait régner entre le même patriarcat d’Alexandrie et celui de Constantinople ne antipathie égale, sinon plus violente. Démembrement de l’évêché d’Héraclée en Thrace et la dernière venue des métropoles orientales, sans passé, sans autre illustration que celle des évêques étrangers qui venaient la gouverner, l’église de Constantinople avait néanmoins reçu du second concile œcuménique, tenu en 381, la primauté dont il dépouillait le siège d’Alexandrie. La raison de cette spoliation était toute politique. La nouvelle Rome, organisée à l’instar de son aînée avec un empereur, un sénat et une cour, avait réclamé, comme on devait s’y attendre, un établissement ecclésiastique analogue à celui de la Rome ancienne, c’est-à-dire la primauté religieuse dans l’empire oriental. Alexandrie s’était plainte amèrement, et ses plaintes avaient été soutenues et le furent longtemps par l’évêque de Rome, qui voulut rester fidèle à sa vieille amitié ; mais le concile œcuménique agissait sous l’inspiration de l’empereur Théodose Ier, et la raison