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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/432

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dans le feu d’une action sans relâche, et n’eurent aucun soupçon qu’ils portaient en eux deux choses différentes. Là est le secret du si rapide et si complet triomphe de la révolution ; elle n’est allée si loin que par la confusion que nous venons de décrire, et si cette confusion, bienfaisante à beaucoup d’égards, a été possible, c’est parce qu’il y avait dans tout révolutionnaire un homme de l’ancien régime.


II

Ce n’est donc pas aux générations qui ont lancé la révolution dans le monde qu’il faut s’adresser pour savoir si ses doctrines sont ou ne sont pas favorables à l’idée de patrie, parce que ces générations, étant nées et ayant grandi dans un autre milieu social, avaient les habitudes de cet état de choses antérieur et non pas les habitudes de leurs doctrines. Tant que ces générations ont vécu, — et leur existence s’est prolongée longtemps, — et tant que les nouvelles générations ont été assez rapprochées d’elles pour recevoir par l’éducation, par la conversation, par les mille voies de communication morale des sociétés civilisées, une partie de la tradition de ce qui fut, — pour conserver à ce reste de tradition une sorte d’existence de mânes au milieu de l’état social actuel, les choses ont pu marcher honnêtement. L’ancien régime nous protégeait encore par ce souvenir transmis. Cependant il est arrivé un moment où cette tradition, un peu plus affaiblie d’année en année, a disparu tout à fait, noyée dans le flot sans cesse renouvelé des générations survenantes. Le fait est d’hier. ; c’est entre les années 1848 et 1850 qu’on a pu s’apercevoir que toute trace du passé avait disparu, que la révolution restait seule debout. C’est aujourd’hui seulement que commence son régime, et qu’on peut juger véritablement de ses tendances, car les nouvelles générations ne connaissent qu’elle, ne rencontrent qu’elle, et peuvent être dites par conséquent ses représentans sans mélange. Eh bien ! l’idée de la patrie tient-elle dans cette société entièrement formée à cette heure sur le modèle de la révolution une place aussi grande que dans la société passée ?

Tous ont fait parmi nous, en quelques mois, de cruelles expériences ; cependant, il faut le dire, nulle déception n’a dû être aussi cruelle que celle du parti qui s’est toujours posé comme le représentant le plus pur de la révolution. Ignorant ou voulant ignorer la source d’où sortait véritablement l’enthousiasme patriotique des précédentes générations, il s’était plu à rapporter à la révolution l’honneur d’un sentiment qui revenait au régime précédent ; mais, lorsque l’heure a été venue de faire appel à cet enthousiasme