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famille n’en composaient qu’une seule, l’œuvre et l’ouvrière ayant absolument les mêmes siècles d’existence sans une minute de plus ni de moins. La seconde coïncidence est plus curieuse encore s’il est possible. Au moment même où tombait le dernier représentant de la monarchie française, un jeune lieutenant d’artillerie d’origine italienne arpentait fiévreusement les rues de la capitale. Puisque l’idée exclusive de patrie n’est plus l’évangile du peuple français, il faut donc que ce soit son contraire, conclut la logique ; immédiatement elle décréta la résurrection de la conception politique à laquelle l’idée de patrie s’était substituée, c’est-à-dire la monarchie universelle, c’est-à-dire l’empire, et pour nouveau Charlemagne elle fit choix de ce jeune lieutenant italien, qui, en vertu de cette musique du sang dont parle un grand poète espagnol, possédait d’instinct la tradition de ce système, et n’eut aucune peine à comprendre les décrets dont le chargeaient les puissances d’en haut. Le jour où la révolution vint proclamer les droits de l’humanité, y eut-il quelqu’un en France qui eût soupçon de cette si prompte et si grandiose résurrection de l’empire d’Occident ? Évidemment personne ne s’avisa d’un tel rêve apocalyptique, et cependant ce rêve extravagant se serait réduit simplement à la divination sagace d’une conséquence toute naturelle de la métamorphose que la France subissait alors. Les nations peuvent à leur aise déraisonner ou même ne pas raisonner du tout ; cela en fin de compte n’a pas grande importance, parce que la logique, qui est chargée de raisonner pour l’univers entier, ne commet jamais de semblables erreurs, et n’a pas de peine à ramener à la rectitude les faux jugemens et les opinions à courte vue des hommes.

La révolution mena droit à la monarchie universelle. C’est qu’en effet, par la fatalité même de sa nature, son ambition ne peut être réalisée que par l’une de ces deux alternatives qui sont également contraires à l’existence de la patrie : ou bien elle doit s’imposer aux peuples en conservant simplement la patrie comme centre et pivot, et alors la patrie change de caractère et s’efface dans cette expansion exagérée d’elle-même ; c’est l’ancienne idée de l’empire, sous laquelle s’engloutit la civilisation de l’ancien monde, sous laquelle sombrèrent les vastes conceptions de Charlemagne, sous laquelle succomba l’Espagne, sous laquelle enfin la révolution elle-même fit son premier naufrage avec Napoléon Ier ; — ou bien elle doit renoncer à la patrie pour elle-même afin de conserver son caractère d’universalité, et c’est à cette seconde alternative qu’elle en est arrivée aujourd’hui. Nous n’exagérons en rien ni sa situation, ni ses pensées ; c’est elle-même qui le dit, et nous ne faisons que constater ses aveux.

Lorsque la révolution enfanta la monarchie universelle, ce fut à