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Examinons maintenant si M. de Bismarck ne cherche pas à étendre cette unité aux âmes, ainsi que l’y pousse la presse officieuse. Peut-être en ce cas le conflit religieux du XIXe siècle porterait-il dans ses flancs la conclusion de l’œuvre de Luther.


II.

Le mouvement religieux a pris naissance au moment même de la convocation du dernier concile en 1869, Évêques et laïques protestèrent à diverses reprises et publiquement contre le dogme projeté de l’infaillibilité personnelle du pape. Le gouvernement bavarois lui-même s’émut des intentions présumées de la cour de Rome, et demanda aux facultés de droit et de théologie des consultations officielles sur les dangers nouveaux que ce dogme devait créer à l’état. Cette émotion générale se résuma dans un livre qui parut vers la fin de juillet 1869, et qui a marqué avec éclat la rupture d’une partie de l’église allemande avec le saint-siège. C’était le Pape et le Concile, par Janus[1]. On y trouvait retracée l’histoire de la papauté depuis ses origines ; on y voyait enregistrés ses empiétemens successifs sur les droits des églises nationales, et les falsifications à l’aide desquelles, dans le cours des siècles, l’évêque de Rome a été accusé d’avoir transformé progressivement ses prérogatives honorifiques en droits de monarque absolu. Janus remuait en outre puissamment les sympathies nationales en exposant les souffrances qu’avait endurées l’Allemagne, les exactions sans nombre d’une interminable série de papes italiens, les longues luttes qu’elles avaient engendrées depuis le moyen cage. Émue par ce réquisitoire de la science moderne, l’opinion publique ne pouvait manquer d’y voir une sorte de code de l’ancienne foi germanique, un programme de ses droits. Aussi l’épiscopat allemand lutta-t-il longtemps contre les efforts de la curie romaine; mais celle-ci parvint à écraser toute opposition, et le 18 juillet 1870 le pape proclama lui-même le dogme de sa propre infaillibilité, dogme qui l’élevait au rang d’un demi-dieu.

En France, la guerre venait d’éclater, les décrets du concile y furent ou ignorés, ou accueillis avec une indifférence trop fondée; mais ils produisirent en Allemagne l’effet d’une seconde déclaration de guerre : le pape infaillible y fut reçu comme un ennemi de la culture germanique et comme un allié de la France. L’opposition catholique, servie par l’excitation nationale contre les peuples la-

  1. M. de Pressensé, dans la Revue du 1er mars 1870, a rendu compte de cet ouvrage, dû à la collaboration du d’J. Huber, un des professeurs les plus distingués de l’université de Munich, et du chanoine de Dœllinger, le doyen des théologiens allemands.