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— Tu as peut-être raison. L’ont-ils dévasté, ce pauvre bois! La dernière fois que je l’ai vu, il était plein de bœufs.

La baronne prit deux échantillons de laine, en choisit un, enfila une aiguille et la rejeta pour ouvrir une brochure qu’elle tortilla entre ses doigts. Il y eut un silence. Madeleine restait debout, inclinée, le front dans sa main, le coude sur l’espagnolette. On entendait toujours le roulement lointain des coups de canon. En ce moment, la tête d’un homme coiffé d’un chapeau de feutre noir parut au-dessus d’une haie, marchant fort vite; Madeleine quitta son poste d’observation, et sortit lestement. En quelques pas, elle atteignit l’angle du sentier que suivait cet homme, et l’arrêtant d’une voix douce : — Avez-vous quelque chose pour moi aujourd’hui, mon ami? dit-elle.

Le facteur frappa sur sa gibecière de cuir : — Rien, mademoiselle, rien. La correspondance chôme un peu dans ces temps-ci.

Madeleine étouffa un soupir, et rentra au château lentement, par un chemin détourné; elle avait le cœur gros. Il s’était fait une déchirure dans le ciel; un rayon de soleil en tombait, éclairant le feuillage rouillé des chênes, et les ardoises du vieux clocher, qui luisait par-dessus les toits de chaume. Sur la lisière d’un champ, des femmes causaient, écoutant le bruit sinistre qui venait de l’horizon. Les coups se succédaient distinctement; on en comptait un, deux, trois, par détonations nettes et profondes. — Et c’est comme ça depuis ce matin, dit une vieille,... combien y en a-t-il que ces coups ont tués! C’est de l’autre côté de la Loire qu’on tire. — Madeleine passa. Le vent chassait de petites feuilles mouillées qui tourbillonnaient sous ses pieds. Était-ce ce vent humide ou la crainte qui lui donnait froid? Elle voyait derrière un bouquet d’arbres les petites maisons du village et sur l’une des ailes du château une grande muraille tapissée de vignes rouges et de lierre, où s’ouvrait une fenêtre ornée d’un rideau blanc. C’était là, derrière ce rideau, que, depuis une semaine, elle s’enfermait chaque nuit, soutenue par la même espérance, agitée par la même inquiétude. Combien de temps devait-elle y passer encore sans nouvelles? Des fleurs s’épanouissaient dans les vases du jardin quand elle était arrivée à Villeberquier. Les buissons de dahlias étaient flétris maintenant, le brouillard rampait le long du Beuvron, et des plaintes en sortaient, pareilles à des voix qui pleurent; il y avait comme un grand voile de tristesse partout, sur les bruyères immenses et sur les bois de pins. Une fille qui allait puiser de l’eau à une fontaine se mit à fredonner le gai refrain d’une chanson; Madeleine, étonnée, la regarda. — Elle chante cependant, se dit-elle.

Elle fit un coude vivement et rentra au château par une porte de derrière. Mme de Fleuriaux l’accueillit par un sourire. — J’ai bien