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que les branches et les rameaux entremêlés nous dérobent la souche et nous empêchent de constater si elle est formée d’un seul tronc ou de plusieurs pieds réunis et soudés. La limite qui sépare les deux règnes ne saurait même être tracée d’une façon absolue. D’ailleurs, à quoi se réduirait cette limite, si tant est qu’elle existe ? Il faut bien l’avouer, à une simple divergence dans le mode d’absorption ou d’exhalaison de certains gaz, dans la présence de certaines combinaisons de substances préférablement à d’autres, et dès lors cette divergence, n’étant accompagnée d’aucune distinction de forme ou de structure bien marquée, n’établirait qu’une distance assez faible entre des êtres doués d’autre part de facultés presque semblables. La difficulté de concevoir entre eux une ligne de démarcation s’accroîtrait encore, si ces êtres, déjà voisins à plus d’un titre, habitaient à la fois le même milieu. On serait alors disposé, selon l’expression de Buffon, à les considérer tous comme étant presque du même ordre, et c’est là effectivement le spectacle qu’ont dû présenter originairement tous les êtres vivans, d’abord exclusivement aquatiques. Nés au sein de cet élément, ils ne sont parvenus à en sortir qu’assez tard et partiellement, lorsque de nouvelles conditions extérieures ont permis à certains organismes d’exister en dehors de l’eau. Il est facile de le prouver, non-seulement la vie a été aquatique avant de devenir amphibie, amphibie avant de devenir aérienne, mais la vie purement terrestre ne date que d’une époque relativement récente, et, depuis qu’elle s’est montrée, elle est restée l’apanage incontestable des êtres les plus nobles, les plus complexes, et, parmi les animaux, des plus intelligens.

Arrêtons-nous quelque peu sur la démonstration de ce mouvement d’une importance sans égale, véritable problème que la vie s’est longtemps appliquée à résoudre. Elle a même pour y parvenir essayé de divers moyens, mais on peut dire qu’elle n’a pleinement atteint le but qu’elle se proposait qu’à force de hardiesse et de persévérance. Un savant contemporain, M. Bronn, considérant ce but comme le principal, celui vers lequel a toujours gravité la nature organique, désigne sous le nom de mouvement terripète l’impulsion qui a poussé constamment les séries d’êtres vivans à quitter l’eau, à mesure qu’elles s’avançaient vers le terme de leur perfectionnement, et à gagner la terre ferme pour s’y établir à l’air libre, comme dans une région plus noble et plus éloignée de leur premier berceau.

L’eau constitue un milieu auquel la plupart des organismes inférieurs se trouvent naturellement adaptés. Des classes entières d’animaux et de plantes, comme les algues, les zoophytes, la majorité des mollusques et tous les poissons, vivent confinés dans cet élément, qu’ils ne peuvent quitter sans périr. Non-seulement l’eau